Alors qu’on a vu durant toute la dernière campagne présidentielle américaine fleurir le Q de QAnon dans les meeting de Donald Trump, et que depuis quelques semaines, s’impose le sigle de trois doigts dans les manifestations démocratiques en Birmanie, que signifient ces signes et ces gestes politiques ? Fidèle à son œuvre profondément urbaine, Jacques Villeglé les détourne depuis 1969 pour en faire un alphabet socio-politique qu’il ne cesse de réinventer au fil de l’actualité.
Que dire d’un artiste qui a vécu tant d’aventures, dont le travail est né au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans un monde en noir et blanc, qui a épousé un grand nombre d’avant-gardes du XXe siècle, flirté avec les lettristes, côtoyé Guy Debord, incarné les affichistes, participé à la fondation du Nouveau Réalisme, puis traversé en toute sérénité les décennies suivantes ? Que rajouter à l’Histoire quand toutes les histoires sont déjà écrites ? Que dire ou plutôt ne pas redire au sujet d’un artiste dont la stature est déjà taillée dans le marbre ? Comment enfin donner du sens à une œuvre symbole du passé dans l’époque qui est la nôtre ?
Ce « sens » vient peut-être de l’Alphabet socio-politique que Villeglé développe depuis 1969. « C’était le 28 février 1969, De Gaulle recevait Nixon, les murs de Paris se couvraient de slogans anti-yankees. Sur les voûtes d’un couloir de métro je vis les trois flèches de l’ancien parti socialiste, la croix de Lorraine gaullienne, la croix gammée nazie, la croix celtique inscrite dans le cercle méditerranéen des mouvements Jeune Nation, Ordre Nouveau, Occident, puis de nouveau les trois flèches dynamiques et barreuses de Serge Tchakhotine, indiquer sans autre commentaire le nom du président américain. L’impact des idéogrammes ainsi assemblés sans commentaire avait plus de violence que tous les NIXON AT HOME inscrits par milliers. » Cette découverte lui donna l’idée d’utiliser ces graffitis pour modifier les lettres latines afin d’inventer un nouvel alphabet : le svastika devient un F, un X ou Z, la faucille et le marteau un G, etc. Le sigle d’un parti, d’une religion ou d’un mouvement prend ainsi une autre signification. Depuis cette date, il ne cesse de développer son Alphabet à partir de nouveaux signes qu’il découvre au fil du temps, et des combinaisons qu’il invente entre signes et lettres.
Cette démarche n’est pas surprenante pour un artiste qui dès son enfance imite des hiéroglyphes, les contrefait, apprend et écrit le grec, puis se passionne plus tard pour le carré magique Sator ou les langages complexes, comme celui entièrement crypté, inventé en 1564 par l’astronome et astrologue anglais John Dee. « L’écriture fut pour moi comme les pommes de Cézanne. » Rien de surprenant non plus pour le « Lacéré anonyme », sorte de double /pseudonyme que Villeglé s’est créé en 1959 pour nommer ce personnage furtif qui parcourt les rues et les couloirs du métro pour en extraire des morceaux d’affiches superposées, découpées au couteau. Que reste-t-il au fond de ces dernières si ce n’est des recompositions d’images et de mots qui forment une poésie visuelle résolument moderne, baudelairienne ? Mais là où les affichistes incarnent la dynamique pop et consumériste des Trente glorieuses, l’Alphabet socio-politique en est la version opposée, ou peut-être leur queue de comète. En effet, et même si Villeglé affirme qu’« avec ce que j’arrache, je cherche à rendre illisible le slogan et le sourire commercial », et s’il a toujours considéré son œuvre comme une critique de la société de consommation en plein essor dans les années 1950 et 60, ses affiches lacérées n’en demeurent pas moins l’une de ses plus prestigieuses représentations. S’ils sont moins fascinés par les images que les artistes pop américains (Andy Warhol et Roy Lichtenstein entre autres), justement par leur rapport à l’écriture poétique, les affichistes européens (Mimmo Rotella était ainsi un remarquable poète performer), ont en effet inventé une beauté qui épouse leur temps. Comment, par exemple, ne pas être impressionné par le format (319 x 810 cm) et la virtuosité du découpage de Carrefour Sèvres-Montparnasse, 1961, ou ne pas être séduit par Carrefour Algérie-Evian, 26 avril 1961, cet assemblage d’images, de couleurs et de mots dans une composition parfaite, presque classique ? Et ce d’autant plus qu’avec malice et prémonition, cette œuvre associe onze mois plus tôt l’eau d’Évian à l’Algérie alors que les Accords d’Évian de mars 1962 (qui soldent la guerre d’Algérie) ne sont ni signés ni même imaginés.
Peut-être que je voudrais que les graffitis de l’expression populaire, phénomènes déviants qui incitent à l’irrespect, concurrencent l’épigraphie hégémonique de la culture occidentale.
L’impact visuel de l’Alphabet socio-politique est moindre. Rien de vertigineux ni d’iconique. Si la rue est leur même origine et l’écriture une finalité quasi commune, leur histoire diffère. En 1969, les choses ont changé. Mai 68 est passé par là. Une nouvelle génération, non issue de la guerre, s’impose. Les Glorieuses commencent à se fissurer. On entre dans les années 1970 marquées par des mouvements contestataires radicaux, l’avènement du terrorisme et le début en Occident d’une crise économique qui va remettre en cause bien des utopies issues des deux décennies précédentes. Ces idéogrammes que Villeglé découvre au moment du séjour de Nixon à Paris, en pleine contestation contre la guerre du Vietnam, sont les symboles d’une nouvelle époque. Pour étayer son projet, l’artiste s’appuie sur le principe de « la guérilla des symboles » développé dans les années 1930 par le sociologue russe Serge Tchakhotine dans son ouvrage Le Viol des foules par la propagande politique. Ses Trois flèches désignent le Front d’airain (appelé également Front de fer), parti politique allemand (1931-1933) qui lutte contre « la triple opposition au Nazisme, au Communisme et au Conservatisme réactionnaire ». Les flèches qui s’opposent graphiquement pour Tchakhotine à la Croix gammée des nazis, resteront pour les années suivantes le signe de reconnaissance de nombreux antifa.
Bien sûr, Villeglé n’utilise pas un symbole pour en contrecarrer une autre. Il n’est pas idéologue. Son objet est d’en faire un alphabet. Mais les lettres latines qu’il réinvente n’ont finalement que peu de latin. Certes, elles peuvent être lues par des occidentaux, mais elles ont perdu leurs formes originelles pour devenir un écheveau de traits, cercles, triangles, courbes, croix ou totems qui se suivent ou se superposent. Lire un texte écrit avec cet alphabet impose un drôle d’exercice. Le seul mot « GÉNÉALOGIE » renvoie par exemple à la Faucille, l’Euro, le Front de fer, l’Étoile de David, la Livre Sterling, l’Anarchie et la Croix de Lorraine. A étudier de près, ce qui est marquant c’est le nombre de bifurcations présentes. La bifurcation est une division en deux branches, c’est aussi la possibilité d’option entre plusieurs voies dans l’organisation d’un système (théorie des bifurcations). On a donc le choix de lire comme un (nouvel) alphabet latin, comme d’y voir des références à de multiples idéologies, souvent contradictoires. « Peut-être que je voudrais que les graffitis de l’expression populaire, phénomènes déviants qui incitent à l’irrespect, concurrencent l’épigraphie hégémonique de la culture occidentale. » Cette remarque de Villeglé est essentielle venant d’un artiste purement européen, français, d’origine bourgeoise et conservatrice. Il rajoute avec lucidité : « les artistes, peintres et poètes, du XXe siècle, assumant ou abhorrant leur condition bourgeoise, se sont intéressés dans le confinement de leur milieu, dans l’isolement de leur métier, à une tentative de détournement des écritures typographiques et manuscrites. » Ce qui peut apparaître comme une appropriation culturelle (terme ô combien polémique aujourd’hui) est pour Villeglé (comme pour beaucoup d’artistes de sa génération) une manière de créer des ruptures contre les langages traditionnels, contre les misonéistes, c’est-à-dire contre celles et ceux qui « rejettent tout nouveau concept, toute nouvelle conception du monde ».
Ceux que j’ai côtoyés ont œuvré pour transformer le monde, changer la vie. J’étais sceptique quant à l’aboutissement de cette ambition collective, (…) mais j’étais persuadé de son bien-fondé.
En fait, Villeglé ne s’approprie par une culture minoritaire. Les idéogrammes contenus dans NIXON, comme ceux qu’il découvrira par la suite, sont des langages universels, faits pour être lus par toutes sortes de cultures ou de civilisations, de la même manière à Karachi, Belgrade, Valparaiso ou Conakry, en 1969 comme en 2021. Ce sont des signes universels que l’artiste utilise pour déstructurer le langage qui est le sien et qui était censé il y a peu de temps encore dominer le monde. Le fait de leur donner une autre fonction, d’en détourner le sens par la lettre, obéit à une logique que Villeglé connaît sur le bout des doigts, le Lettrisme. Il n’est pas facile de résumer ce dernier tant son théoricien, Isidore Isou, l’a conçu comme un projet d’une extrême complexité. Son manifeste La Créatique ou la Novatique, rédigé entre 1941 et 1976, comporte des centaines de pages exaltantes, mais aux accents trop souvent obscurs, ce qui a lassé bon nombre de ses camarades et isolé sa pensée. Mais pour faire court, on pourrait dire que le principe du Lettrisme est de refonder l’art et la vie à partir du langage, et notamment à partir de l’élément fondamental de l’écriture : la lettre. Cette dernière devient l’épicentre de la tabula rasa esthétique et sociétale, sans être pour autant une fin en soi. L’entrisme lettriste s’adresse à toutes les créations et connaissances possibles. Si l’entreprise est trop démiurgique, elle a eu au moins le mérite d’avoir su réinjecter les fondements révolutionnaires des avant-gardes Futuristes et Dada dans une France de l’après-guerre qui en avait bien besoin. Dans un manifeste de 1950, Isou appelle clairement Le Soulèvement de la jeunesse, ce qui fait de lui le précurseur des contestations à venir. Si le Lettrisme n’a pas révolutionné les arts visuels, il a profondément marqué le cinéma et la poésie. Il a également engendré les mouvements dissidents L’Internationale Situationniste, et la moins connue Internationale Lettriste qui fut pourtant le terreau entre 1952 et 1957 d’idées et d’actions de vie radicales (comme la dérive), et de flamboyants artistes à la liberté sans pareil, tels les poètes et plasticiens Gil Wolman et François Dufrêne qui dynamisèrent le langage avec respectivement les Mégapneumes (poésie basée sur souffle) et les Crirythmes (poésie de cris). Wolman et Dufrêne furent des proches de Villeglé. Tout aussi flamboyant fût Gabriel Pomerand, dont on oublie trop souvent qu’il est le co-fondateur avec Isou du Lettrisme, auteur en 1949 de l’ouvrage Considération objective sur la pédérastie, de Notes sur la prostitution l’année suivante (sujets peu évoqués à l’époque), et surtout, toujours en 1950, de Saint Ghetto des Prêts, certainement le premier roman entièrement hypergraphique de l’Histoire, déjà constitué en partie d’idéogrammes détournés. Villeglé le connaissait moins, mais l’écho est forcément considérable.
Mais Villeglé ne fut pas qu’un témoin du Lettrisme, il en fut aussi un compagnon de route avec ce qui constitue certainement l’une des œuvres les plus significatives de l’esprit lettriste, Hepérile éclaté, en juin 1953. Après que son complice Raymond Hains eut inventé une machine optique déformante à verres cannelés (l’hypnagogoscope), ils décident ensemble de transformer, avec l’aide de cette dernière, le poème phonétique de Camille Bryen, L’Hepérile (1950), composé selon son auteur de « mots inconnus ». Chaque mot est diffracté (éclaté) en signes qui sont projetés sur le mur puis retranscrits sur papier pour en faire un livre ; ces signes deviennent pour Hains et Villeglé des « ultra-lettres ». Cette mise en abyme (mots/sons/images) de la littérature jusqu’à sa mutation au profit de formes abstraites est remarquable du « dépassement de l’art » que tous ces jeunes gens de l’époque revendiquaient comme une conscience esthétique et politique. Dans les carnets de Villeglé datés de 1955, on voit par exemple une page très colorée, presque matissienne, remplie de lettres dont on trouve déjà des amorces d’idéogrammes inventés ou détournés.
Ainsi sous un visage riant, sous un air de jeunesse qui semblait ne promettre que des jeux
Par contre, Villeglé n’a jamais été convaincu par les œuvres picturales des lettristes. Il n’a pas tort tant ces dernières ont globalement peu d’intérêt. Mais alors pourquoi a-t’-il fait de son Alphabet socio-politique une œuvre picturale ? Il y a là un étonnant paradoxe car autant les affichés lacérées font preuve d’un impact visuel fort, autant les œuvres alphabétiques peuvent dérouter le regard, être déceptives quand on les accroche au mur, encadrées, sur toile ou sur papier, sérigraphiées ou même sur ardoise. L’Alphabet a plus de sens quand il est contenu dans un livre pensé et conçu pour lui, tel le Carnet d’Annette publié en 2006 par les éditions Le Quartier/Quimper, petit objet que l’on parcourt en tentant de décrypter chaque page et en s’amusant des rapprochements idéogrammatiques saugrenus. L’Alphabet est également en phase avec lui-même quand il revient directement sur le mur dans un exercice de mise en abyme comme Villeglé sait si bien en jouer. Ce fut le cas en 2016 dans l’exposition Mémoires au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne. Pour la première fois, Villeglé se met ici à l’épreuve de l’installation, et qui plus est pour une installation globale, couvrant sols, murs et (presque) plafonds. Partant de sa première sculpture Fils d’acier – Chaussée des Corsaires (Saint-Malo), 1947, il déploie dans l’espace son Alphabet pour recomposer le contenu graphique et théorique du livre Mémoires (1958) de Guy Debord et Asger Jorn, ouvrage lui-même composé de débris de phrases, fragments de textes, images hétéroclites associées à des taches, zébrures, éclaboussures ou hachures. Le tout s’entremêle à la poésie de Victor Segalen, Tristan Corbière ou Arthur Rimbaud. L’effet général est d’une liberté totale. L’Alphabet n’est pas enfermé dans un cadre, il se déploie dans tous les sens, avec notamment cette phrase de Debord (piquée semble-t-il à Chateaubriand) qui en dit long : Ainsi sous un visage riant, sous un air de jeunesse qui semblait ne promettre que des jeux. A Saint-Étienne, Villeglé, pour ses 90 ans, a retrouvé sa jeunesse, celle justement du début des années 1950 durant laquelle il a fréquenté Debord avant que celui-ci ne devienne le fondateur intransigeant de l’Internationale Situationniste.
Mais là où l’Alphabet socio-politique prend définitivement son sens, c’est quand il retourne dans la rue, quand il restitue ses formes sur les murs ou sur le bitume qui sont leur origine, et ce comme Villeglé l’a déjà fait à plusieurs reprises, en 2014 ou 2016 dans les 13e et 5e arrondissements de Paris, au cœur de la vie. Car au-delà de l’écriture, le lien qui fédère l’œuvre de Villeglé c’est l’urbain. « Tout mon travail parle de cette irruption de la rue dans le musée. » C’est là qu’il redevient le Lacéré anonyme, marcheur solitaire qui emprunte et restitue à la ville ce qu’elle produit. La cité est pour lui un matériau. Il en a également fait un film, Un mythe dans la ville (1974-2002) qui rend hommage au « colleur d’affiches, le plus grand des poètes modernes », avec pour toile de fond un Paris en pleine mutation par ses chantiers. Le son de ce film est assuré par Bernard Heidsieck, voix iconique de la poésie sonore, avec son poème « Couper n’est pas jouer » Biopsie N°10, assemblage de textes de son auteur et de sons issus de manifestations, discours économiques ou politiques, bruits de la rue, enregistrés entre 1966 et 1969.
Enfin, la Ville, c’est aussi sa culture endémique. Il a toujours été admiratif des graffitis urbains, même s’il reproche aux graffeurs l’effet de leur « signature égocentrique » (ce qui n’est pas vraiment le cas). Évidemment, la culture du Street Art n’a pas la même origine ni le même sens que celle de Villeglé, mais il est quand même très rare qu’un artiste européen, et déjà relativement âgé, s’intéresse en 1969 à ces créations urbaines.
Génie non original
Comment interpréter aujourd’hui la portée de cet Alphabet ? Même si certains idéogrammes contemporains continuent à marquer fortement les esprits comme le XR d’Extinction Rebellion, la main à quatre doigts de Rabia en 2013 en Égypte, ou le Noun des chrétiens persécutés de l’Irak en 2014, la place de la propagande n’est presque plus dans la rue. La contestation urbaine n’est que la face immergée d’un travail souterrain qui opère dans les méandres de toutes sortes de réseaux du web. On a vu il y a très peu de temps comment le Q de QAnon est passé d’octobre 2017 de la clandestinité anonyme des sites 4chan puis 8kyn aux t-shirt et banderoles des meetings de campagnes de Trump, jusqu’à franchir sur des pancartes les portes du Capitole le 6 janvier dernier. « Rien n’est plus contagieux qu’un symbole » affirment Baudouin Decharneux et Luc Nefontaine dans leur livre Le Symbole (PUF, Paris, 1998). Les temps changent, les outils aussi, Le Viol des foules par la propagande politique reste identique, pour meilleur ou pour le pire.
De même, si on n’utilise presque plus le terme « détournement » comme Villeglé et ses camarades ont pu mille fois le dire ou l’écrire, il existe encore et toujours une littérature qui joue de l’emprunt. Dès les premières lignes de son ouvrage L’Écriture sans écriture du langage à l’âge numérique publié en 2011, Kenneth Goldsmith suggère : « Le monde est rempli de textes, plus ou moins intéressants ; je n’ai aucune envie de lui en ajouter un de plus. ». Son idée est que le développement du numérique va engendrer au fil du temps la fonction de « génie non original » (Unoriginal genius) et que l’écrivain se transformera en programmateur par l’appropriation de textes existants, littéraires ou non, choisis, réarrangés et plagiés, dans une sorte de généralisation ou d’extension extrême du geste devenu naturel de copier-coller. « Les meilleurs auteurs du futur seront peut-être ceux qui auront écrit les meilleurs programmes pour manipuler, analyser et distribuer des protocoles à base de langage. » L’Uncreative Writing remet ainsi en cause l’originalité comme condition nécessaire de l’œuvre et la déclare obsolète. Même si les propos de Goldsmith font froid dans le dos tant ils sont robotisés, et si ce principe d’écriture n’est pas nouveau (il suffit de lire Témoignages de Charles Reznikoff, rédigé dans les années 1930 ou Pierre Ménard, auteur du Quichotte publié par Jorge Luis Borges en 1944), ses intentions restent dans la tradition de la paralittérature, c’est-à-dire une littérature conçue hors du génie créatif, de la création ex-nihilo et du texte-sanctuaire, modèle sacré du poète. Ce n’est pas un hasard si Kenneth Goldsmith est également le fondateur de la plateforme web Ubu qui concentre en sons et en images ce qui se fait de mieux dans les expérimentations artistiques de siècle dernier. Au fond, ce qui change ce sont les capacités mécaniques que les outils numériques proposent aux nouveaux adeptes du détournement. Ce lien avec l’Histoire est assez troublant quand on lit entre les lignes de Goldsmith. « Le monde est rempli de textes » est la paraphrase de la réflexion de l’artiste américain Douglas Huebler « Le monde est rempli d’objets ; je ne désire pas en ajouter. Je préfère simplement constater l’existence des choses en termes de temps et/ou de lieux. » qui constitue certainement l’un des manifestes les plus connus de l’Art Conceptuel. Ces mots ont été prononcés en 1969. Ce n’est pas très érotique, mais c’est tout de même une belle année…
Remerciements à la galerie GP & N Vallois, Paris
Couverture : Etre étonné, c’est un bonheur. Edgar Allan Poe, vue de l’installation in situ de Jacques Villeglé à l’occasion de la Fiac, Jardin des Tuileries, 2009 © Marc Domage