Wat Rong Khum, Thailand © DR
Wat Rong Khum, Thailand © DR

L’art du tourisme thaï

Chronique par Luc Clément

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Triangle d’Or, province de Chiang Rai, nord de la Thaïlande. De cette zone sensible, voisine du Laos et de la Birmanie, on ne gardait bien souvent que de troubles souvenirs opiacés. Peu à peu, la légende stupéfiante a pourtant cédé place à des parcs d’éléphants enchaînés et dépressifs, tigres chloroformés, crocodiles domestiqués ou singes hystériques qui jouent les pitres pour touristes en quête d’attractions humiliantes. Des hordes de quads polluent allègrement la jungle pendant que des réfugiés birmans – les malheureux Rohingyas et autres Padaung, connus pour leurs Femmes Girafes – parqués eux aussi dans des camps touristiques, se font les camelots d’un artisanat qu’ils ne produisent même pas. Les wat, temples bouddhistes traditionnels, poussent dans tous les sens, suscitant l’engouement des touristes mais dérangeant paradoxalement la sérénité censée régner dans ces lieux de recueillement. Deux d’entre eux valent néanmoins qu’on s’y attarde.

Le premier, appelé Wat Rong Khum ou « temple blanc », a été construit par l’artiste Chalermchai Kositpipat. Projetant initialement son ouverture officielle en 2008, son concepteur envisage désormais des travaux jusqu’en 2070, l’édifice ayant failli disparaître dans un tremblement de terre en 2014. Pour atteindre une telle blancheur, censée évoquer la pureté du bouddhisme et sans égale même chez Disney, sa surface extérieure a été intégralement incrustée de fragments de miroir. Avant de pénétrer dans cette « immaculée conception » scintillante, le visiteur doit d’abord passer entre deux crocs géants, puis traverser un lac d’où jaillissent des bras et crânes comme sortis de l’enfer. A l’intérieur, on découvre une salle recouverte de peintures murales où l’on reconnaît entres autres les portraits de Neo de Matrix, Freddy Kruger, Terminator ou Michaël Jackson, l’élévation bouddhiste atteignant ici des sommets de kitsch.

A quelques kilomètres de là, le Baandam Museum, connu à l’inverse comme la Maison Noire, n’est pas à proprement parler un wat. Pensé par un autre artiste, Thawan Duchanee, il a été conçu comme une exposition grandeur nature de plusieurs temples édifiés dans un parc soigneusement arboré. Plus sombres et rustiques, ces quarante bâtiments sont pour la plupart en bois. Ceux qui ne le sont pas, construits en béton, terre cuite ou verre, possèdent des formes étrangement organiques, telle qu’un calamar par exemple. Plus étonnant encore, se cachent dans chaque architecture des milliers d’objets hétéroclites, énormes coquillages, meubles anciens, défenses, têtes et peaux d’animaux sauvages, gongs, armes blanches spectaculaires, jarres surdimensionnées, paniers tressés, tapis orientaux. Il est difficile de comprendre le sens de ce cabinet de curiosités où style asiatique rime avec heroic fantasy, sauf à y voir l’éventuelle fascination d’un artiste pour des mondes perdus ou imaginaires, comme Suvarnabhumi, mythique pays de l’or issu des légendes indiennes. Ou plus simplement, une forme de génie touristique, thaï et gothique à la fois.

Image de couverture : Wat Rong Khum © DR
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