Dans le cadre d’une nouvelle série de chroniques intitulée Beaucoup plus de moins, en partenariat avec Riot Éditions, Switch (on Paper) retrouve l’artiste Jean-Baptiste Farkas au travers d’une suite de dialogues avec des artistes et aut·eur·rice·s sur le thème inépuisable de la soustraction. Aujourd’hui, Éric Watier ou l’art difficile d’en faire le moins possible.
Jean-Baptiste Farkas : En tant qu’artiste, qu’est-ce que soustraire pour toi ? Comment définirais-tu cette opération ?
Éric Watier : Soustraire ça veut dire enlever quelque chose qui serait en trop. Donc plutôt que de soustraire, il vaudrait mieux en faire le moins possible. C’est moins fatigant et plus efficace. Y compris quand on écrit.
Jean-Baptiste Farkas : Toujours en tant qu’artiste, est-ce un geste que tu as déjà pratiqué ? Comment, dans quels contextes et avec quels résultats ?
Éric Watier : J’essaie toujours d’en faire le moins possible. J’aime les formes simples, courtes, les choses faciles. Par contre, je ne sais pas ne rien faire : c’est à la fois ma joie et mon infortune.
Jean-Baptiste Farkas : La logique soustractive peut-elle contribuer à transformer la pratique de l’art ? Si oui, comment, pourquoi ? As-tu des exemples ? Si non, pourquoi ?
Éric Watier : La logique soustractive, comme tu l’appelles, a au moins un avantage : elle affaiblit ce qu’elle touche. Cette faiblesse fait qu’elle est inutilisable par les fascistes. C’est déjà ça.
Jean-Baptiste Farkas : Dans la société, la notion de décroissance semble, au moins théoriquement, gagner toujours plus de terrain, en va-t-il de même dans la pratique de l’art ?
Éric Watier : Visiblement non, en tout cas pas pour la frange ultra-visible de l’art contemporain qui est totalement en phase avec le libéralisme triomphant. Cette frange est aujourd’hui encore plus riche, plus lourde, et plus obscène. Et elle le restera.
Jean-Baptiste Farkas : Faisant suite à L’inventaire des destructions, tu as publié Ceux qui ne détruisent pas. J’y vois une supplémentation. Peux-tu t’expliquer sur la motivation de ce second livre ?
Éric Watier : Ceux qui ne détruisent pas n’était pas prévu. Il s’est fait tout seul. Pour écrire L’inventaire des destructions, j’avais envoyé un questionnaire à une centaine d’artistes et je leurs demandais s’ils avaient détruit tout ou partie de leur œuvre, et si oui, où, quand, comment et pourquoi. Lorsque j’ai envoyé mon questionnaire, je ne savais pas du tout ce que j’allais recevoir comme réponses. Dans les réponses reçues, il y en a eu quatre où les artistes disaient ne jamais avoir rien détruit. C’était très étonnant. D’une part que des artistes n’aient rien détruit, d’autre part qu’ils prennent la peine de me le dire. J’ai été très heureux de la réponse de Pierre Klossowski1. J’ai aussi été amusé par celle de Sophie Calle qui a ajouté sur la carte : « Je garde tout. » Les deux autres artistes étaient Gottfried Honegger et Marie Guérin.
Jean-Baptiste Farkas : Parallèlement à soustraire, quelles autres opérations perpétrées à titre d’œuvre sollicitent ton attention et pourquoi ?
Éric Watier : Toutes les œuvres qui nous libèrent de quelque chose m’intéressent. Le problème que j’ai actuellement c’est que je sais pas où les trouver. Tout est déjà envahi par ce qui ne nous intéresse pas.
Jean-Baptiste Farkas : Manque-t-il une ou plusieurs questions à cet entretien ?
Éric Watier : Non, je ne crois pas.
Couverture : Éric Watier, L’Inventaire des destructions, Rennes, Éditions Incertain Sens, 2018. Ouvrage publié avec le soutien à l’édition du Centre national des arts plastiques, de la Région Bretagne et de la Région Occitanie.
1.Klossowski, ou plutôt son (ou sa) secrétaire, a simplement coché la case « non » et signé à sa place.