La voix libérée
La voix libérée

Corps contraints mais voix libérées

Chronique par Éric Mangion et Luc Clément

Sommaire

Le confinement nous pousse à lire, écouter, voir, puis réfléchir et repenser notre vision du monde. Alors que nous nous étions promis de fonctionner comme un slow média en prenant du temps pour analyser l’art et l’actualité du monde, les faits nous poussent à changer d’orientation en instaurant désormais des chroniques qui réagissent à la crise sanitaire que nous traversons.

Switch (on Paper) est un slow média qui s’était promis, juré de ne jamais réagir à l’actualité immédiate, de ne jamais tomber dans le commentaire des évènements à chaud. Notre volonté était jusqu’à ce jour de penser avec une certaine distance, un recul nécessaire pour ne pas céder à la facilité du jugement précaire et raccourci que nous détestons tant. Ce « retard » aurait pu dire Marcel Duchamp, est celui du prisme de l’art, pas l’art bling-bling des foires et de la spéculation financière, mais la création vivante, celle qui s’expérimente, qui s’échange. Nous défendons un art situé, engagé, qui fait partie de notre monde, sans pour autant donner des leçons de bonne conduite. Nous sommes de notre temps, nous voulons être de notre monde, tout en revendiquant le droit de remettre en cause bon nombre de ses principes. Mais notre analyse critique n’est pas produite à l’emporte-pièce ; elle se veut patiente et exigeante car fondée sur une étude profonde et multiple des faits.

La situation de ces dernières semaines nous pousse à écrire sur les faits. L’épidémie, devenue pandémie « à mesure que les jours suivront les jours », a en effet confirmé la crétinerie de l’information permanente et directe. Nous avons lu ou entendu des dizaines d’éditorialistes connu.e.s ou simples internautes se prendre pour des épidémiologistes de haut vol, certain.e.s jugeant le Covid 19 tel un simple virus grippal sans conséquence, une invention des médias. D’autres au contraire, piètres Nostradamus connectés non stop à leur compte Insta ou Twitter, prédire la fin du monde selon des principes eschatologiques bien rodés. Dans les deux cas, la bêtise est identique. Comment tous ces écervelés peuvent prédire l’avenir alors qu’ils n’ont même pas conscience de notre présent ? Certes, les peurs collectives ont toujours existé. Elles sont légitimes car aujourd’hui les faits sont graves. Mais ne faut-il pas refuser d’amplifier ces phénomènes en faisant preuve d’un regard critique sur nos modes de communication et d’analyse ? On parle souvent des grandes peurs de l’An 1000, mais ces dernières s’avèrent être une invention de la Renaissance qui cherchait à mettre en lumière la pertinence de son époque au détriment de temps plus obscurs.

Quand on parle de décroissance économique, il faut inclure la décroissance de nos modes de pensée qui consisterait à cesser de juger à tort et à travers. L’urgence du monde, certes réelle notamment vis-à-vis du climat, ne doit pas nous imposer une urgence permanente de la prise de parole, indigeste ou inappropriée. « Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire. », écrivait le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein. Il faut lire aussi L’homme sans qualités de Robert Musil, un autre autrichien, qui décrit une société – plutôt brillante d’ailleurs – qui parle, qui parle et qui parle encore alors que la catastrophe de la Première guerre mondiale est à ses portes. L’ouvrage débute par cet incipit : « D’où, chose remarquable, rien ne s’en suit », suivi ironiquement par un bulletin de la météo du jour à Vienne en une belle matinée du mois d’août 1913. Profitons de ce temps de confinement pour inventer non pas forcément un autre monde, mais une autre manière de penser. Pour nous aider, il y a la littérature, bien sûr, la poésie en premier lieu. Nous vous proposons ainsi de télécharger gratuitement l’application La voix libérée regroupant 74 poèmes sonores des années 1950 à aujourd’hui. Résolument alternative, la poésie sonore est une branche de la littérature méconnue. La raison principale en est peut-être qu’elle échappe au langage traditionnel : les mots sont transformés en sons et les sons deviennent des mots. Derrière ce renversement se cache une conception du langage comme pratique sociale. Cette idée a accompagné les révolutions esthétiques des avant-gardes du début du XXe siècle. Il fallait lutter contre les systèmes et les dogmes, à commencer par les règles imposées du langage. Les temps ont changé, les combats aussi. Mais à l’heure où les nouvelles technologies formatent le verbe, où l’oralité et la parole sont omniprésentes, la poésie sonore conserve toute son actualité et sa singularité.  

C’est en libre accès, cela dure plus de 5 heures et c’est d’une liberté folle et totale.

À écouter sans entraves !

Couverture: Occupy Wall Street, 14e jour © photo David Shankbone

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