Black Panthers
Black Panthers

L’héritage artistique du Black Panther Party dans la baie de San Francisco

Chronique par Camille Reynaud

Sommaire

Au début de l’année 2019, le San Francisco Art Institute (SFAI) accueillait l’exposition « Vanguard Revisited: Poetic Politics & Black Futures », une relecture du mouvement des Black Panthers à l’aune de celui d’artistes contemporains de la baie de San Francisco.

Le Black Panther Party (BPP), surnommé Black Panthers, est un mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine qui s’est constitué au milieu des années 1960 en Californie pour lutter contre la ségrégation raciale aux États-Unis. Il a été documenté de l’intérieur dans le livre The Vanguard: A Photographic Essay on the Black Panthers par les photographes américains Ruth-Marion Baruch et Pirkle Jones, qui passèrent plusieurs mois de l’année 1968 à suivre ses membres sur la place publique comme autour d’une table dans des moments d’intimité. Leurs portraits en noir et blanc donnent un visage au mouvement, le décloisonnent, en saisissent les nuances et diffusent ainsi des militants une vision plus réaliste et plus humaine que celle, caricaturale, relayée à l’époque par les médias.

Cinquante ans plus tard, Kija Lucas, Tosha Stimage, Christopher Martin et le Collectif 5/5 témoignent de l’influence du BPP dans leurs travaux respectifs.

Kija Lucas investit les notions de foyer et d’héritage par la photographie. Dans son projet « In Search of Home », l’artiste construit à partir de plantes et autres artefacts — morceaux de roche, pièces de métal ou de bois — un parallèle entre les schémas migratoires de sa famille et la classification des espèces établie par le naturaliste suédois Carl Von Linné. Bien qu’elle les récolte dans différentes régions, elle applique le même traitement à chaque espèce de plante, sans distinction de provenance — ce qu’elle appelle « native » ou « non native », comme sont désignés les Américains d’origine étrangère.

Tosha Stimage disloque le langage pour déconstruire les idéologies raciales, par l’emploi de messages codés, de décalages entre signifié et signifiant et de déplacements de contexte. Son projet « 50 WAYS TO MAKE ORANGE », par exemple, assemble des photos du footballer américain O.J Simpson et d’oranges en un tissage qui explore les possibilités et les limites du langage visuel, les significations se coupant et se recoupant au gré des disparitions d’un fragment d’image sous une autre. Elle montre ainsi qu’une identité n’est pas uniforme mais varie d’une interaction à une autre et en fonction du contexte.

Le Collectif 5/5, s’intéresse quant à lui à la définition du noir et de l’identité noire comme idée, conscience, ensemble de références et d’expériences au travers de l’appropriation des espaces, du langage et de la culture visuelle. On pouvait trouver dans l’exposition du San Francisco Art Institute l’installation Somewhere in the unfinished de Tania Laure Balan Gaubert, où l’artiste fait référence aux chaises placées sous les porches des maisons, dont l’abandon ou la disparition marque les déplacements des familles évoque l’absence d’un corps et rappelle que des vies noires ne vivent plus ici. ».

Enfin, Christopher Martin travaille sur les symboles politiques dans l’espace contemporain. Ses tapisseries de coton « Black Power », sur lesquels il imprime le terme « POWER » en capitales grises sur fond noir, parviennent à contourner la censure d’Instagram tandis que le poing levé caractéristique du mouvement des Black Panthers est systématiquement supprimé de la plateforme. Ces deux images ont pourtant la même signification.

En soulignant les formes actuelles que peut prendre la ségrégation, ces artistes réinterprètent les enjeux sociaux et politiques portés par le mouvement de la fin des années 1960. On peut cependant regretter l’absence de lien direct entre les travaux contemporains exposés et les photographies de Ruth-Marion Baruch et Pirkle Jones, qui semblent ici servir de faire-valoir à une exposition sur les Black Panthers plutôt que de point de départ à un véritable dialogue. Il existe certes des similitudes dans la démarche : de même que le reportage des deux photographes, les œuvres de Kija Lucas, Tosha Stimage, Christopher Martin et du Collectif 5/5 s’efforcent de concevoir la possibilité d’un activisme non violent et d’appréhender l’imaginaire politique noir dans toute sa complexité. Mais les photographies de Ruth-Marion Baruch et Pirkle Jones s’inscrivent dans un débat plus large autour de la fonction de la photographie documentaire comme témoin ou outil d’activisme, qui est ici complètement ignoré. « Vanguard Revisited » récupère le sujet de The Vanguard: A Photographic Essay on the Black Panthers, à savoir le Black Panther Party, mais délaisse l’essai lui-même ainsi que ses enjeux artistiques.

Couverture : Pirkle Jones, 1968, Couple at Free Huey Rally, DeFremery Park, Oakland, CA, #19 from A Photographic Essay on The Black Panthers. © DR

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