De l'encr contre la peine de mort
De l'encr contre la peine de mort

De l’encre contre la peine de mort

Chronique par Camille Reynaud

Sommaire

Le 1er mars 2019, la Coalition malaisienne contre la peine de mort organisait un forum au Wisma WIM (Women’s Institute of Management) à Kuala Lumpur. C’est également dans cette ville que s’était déroulé en 2015 le premier Congrès régional impulsé par l’ONG française Ensemble contre la peine de mort auprès des acteurs locaux. En 2015 comme en 2019 les visiteurs purent, entre deux conférences, découvrir le travail éloquent de l’artiste taïwanais Ewam Lin.

Ewam Lin est gardien de prison à Yilan dans l’est de Taïwan. Depuis vingt ans, il documente le quotidien carcéral à travers des croquis à l’encre accompagnés de textes explicatifs. C’est sur la surface délimitée d’une feuille, souvent de format A4 ou A5, qu’il retranscrit au stylo plume les journées des condamnés telles qu’elles se dessinent dans l’espace de leur cellule. Solitude d’un vieillard qui attend la visite de sa petite-fille pour le nouvel an, posture d’un homme effectuant sa prière matinale, souffrance d’un malade qui ne reçoit pas les soins adéquats : autant de portraits qui témoignent des effets des décisions judiciaires sur les détenus, et dénoncent les failles du système pénal et pénitentiaire taïwanais. Ewam Lin publie ces récits illustrés sur son blog pour défendre une vision plus humaine de la prison. Par son double regard de gardien et d’artiste, il plaide pour une réforme de la justice, et en particulier pour l’abolition de la peine de mort, car il croit en l’efficacité d’une justice réparatrice œuvrant à la réinsertion des prisonniers dans la société.

En 2017, l’innocence de Cheng Hsing-tse a été reconnue après huit procès en révision et quatorze années d’incarcération, dont dix dans les couloirs de la mort. Il n’était pas le premier détenu victime d’une erreur judiciaire. Depuis 2012, quatre autres cas ont été recensés à Taïwan. Cette affaire a rouvert le débat autour de la peine de mort dans une zone géographique qui y est majoritairement favorable.

Car si l’Asie est un enjeu important pour le mouvement abolitionniste, c’est parce que la région concentre encore un grand nombre de pays rétentionnistes, c’est-à-dire réfractaires à l’abolition, doublé d’un fort taux d’exécutions. Des exécutions qui se comptent en milliers sur le seul territoire chinois, où la peine de mort est utilisée comme outil de répression politique. Selon un rapport d’Amnesty International publié le 12 avril 2018, parmi les 55 Etats qui recourent encore à la peine capitale dans le monde, 16 appartiennent à la région Asie-Pacifique, et 10 d’entre eux sont susceptibles de l’appliquer pour des infractions relevant du trafic de stupéfiants,.

En effet, explique Ewam Lin dans une interview donnée au journal Free Malaysia Today, la majorité des détenus de la prison dans laquelle il travaille ont été condamnés pour consommation de drogue mais ne bénéficient pas d’un accompagnement médical. Plutôt que d’être envoyés en centre de désintoxication, ils sont enfermés voire exécutés par un gouvernement qui pense diminuer ainsi les risques de récidive à moindre coût : il est moins cher d’éliminer que de soigner.

C’est dans ce contexte que s’inscrit sa pratique artistique éminemment politique. En dessinant les condamnés et en narrant leurs histoires, il confronte les Taïwanais aux êtres humains qui se trouvent derrière les barreaux. En donnant à voir les yeux que le peloton d’exécution s’efforce de dissimuler derrière un bandeau avant de tirer, il oblige la société taïwanaise à faire face à sa propre culpabilité. Son geste d’empathie, sans nier les crimes commis, remet en cause le système et réhabilite la personne.

Fort de la reconnaissance que ses dessins lui ont permis d’acquérir, Ewam Lin est invité depuis 2017 à participer à la Conférence Nationale sur la Réforme Judiciaire organisée par le président de la Malaisie, qui, en votant le 13 novembre 2018 en faveur d’un moratoire sur l’application de la peine de mort, a fait un premier pas vers l’abolition totale, ouvrant peut-être ainsi la voie au reste de l’Asie.

 

 

Couverture : Ewam Lin, dessin à l’encre (détail), 2015. © DR

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