Bénéficiant en partie du parfum de miracle qui a auréolé leur découverte, les photographies de Vivian Maier – photographe américaine autodidacte née en 1926 et morte en 2009 – connaissent un incroyable succès posthume international qui donne à réfléchir.
Si son œuvre liée à la photographe de rue américaine n’a été révélée au public qu’après son décès, c’est qu’elle-même ne se définissait pas comme une photographe, et n’aurait pas qualifié sa pratique comme un « travail ». Elle vivait de ses revenus de gouvernante, et n’a semble-t-il jamais tenté d’être exposée. En réalité, nombre de ses pellicules n’ont pu être développées faute d’argent. Et si son travail a été par hasard découvert, c’est parce qu’elle ne pouvait, vers la fin de sa vie, plus payer les frais de location du garde-meuble dans lequel étaient entassés ses cartons de négatifs et tirages qui ont alors été mis aux enchères.
Il est donc vraisemblable que pour Vivian Maier aussi, faire de la photographie une passion plutôt qu’une profession était un choix conditionné par les réalités matérielles. Son métier, que l’on pourrait aujourd’hui qualifier d’alimentaire, a facilité sa pratique de la photographie. De 1956 à 1973, la famille pour laquelle elle travaillait a même mis à sa disposition une pièce qu’elle a transformée en laboratoire de développement. Sa manière d’être et ses attitudes modestes lui ont octroyé une grande liberté de mouvement en lui permettant de se rapprocher de ses sujets sans trop attirer l’attention ou la suspicion : qui se méfierait d’une femme, qui plus est souvent accompagnée d’enfants ?
Les photographies de Vivian Maier témoignent d’un rapport au sujet façonné par son statut, celui d’une femme issue d’un milieu populaire. Autodidacte, elle a développé un regard témoignant d’une grande intelligence sociale. Ses milliers de clichés de la vie urbaine américaine des années 1950 à 1990, de Chicago à New York en passant par Los Angeles, saisissent avec une acuité exceptionnelle la rue, ses occupants et ses interactions, ses découpages hiérarchiques et sa géographie sociale. Sa pratique de l’autoportrait à travers les ombres et les miroirs était moins une manière d’intégrer son image à son œuvre que de la confronter à celle de ses sujets et de révéler ainsi les inégalités sociales qu’elle observait. Ces contrastes prennent souvent la forme de coïncidences chromatiques dans ses photographies en couleur.
Couverture : Vivian Maier, Chicago, Août 1975. © Estate of Vivian Maier. Courtesy of Maloof Collection