Robers blanches
société

Féminisme, 26 septembre 2019

Robers blanches

Robes blanches

Chronique par Camille Reynaud

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La robe épouse une vision du monde », écrit l’historien Georges Vigarello dans son ouvrage La Robe. Une histoire culturelle. Du Moyen Age à aujourd’hui (Seuil, 2018). Du corset à la mini-jupe en passant par le pantalon, l’évolution de la mode féminine à travers l’Histoire illustre celle des droits des femmes. A mesure que ces dernières s’émancipent socialement, économiquement et politiquement, les matières se font plus légères et les coupes, moins strictes, offrent une plus grande liberté de mouvement. La robe de mariée, symbole par excellence du vêtement comme norme sociale, est en ce sens régulièrement revisitée par des artistes pour dénoncer l’envers de l’ourlet.

The Wedding Dress de Christo et Jeanne-Claude était exposée du 23 mars au 2 juin 2019 au Musée Yves Saint-Laurent de Marrakech à l’occasion de la rétrospective Christo : Femmes 1962 – 1968. Prise en 1967, la photographie met en scène une femme encordée à un amas d’objets emballés dans du tissu et qu’elle tente de traîner derrière elle. L’image rappelle La Mariée (Eva Maria) que sculpte Niki de Saint-Phalle en 1963, une femme étouffée par une robe de plâtre où s’engluent des morceaux désarticulés de poupées et autres jouets d’enfant. Tête penchée sur le côté, regard vide, elle incarne la femme sacrifiée, soumise à un système de valeurs, condamnée à fonder une famille et souvent mariée de force, comme c’est le cas dans la série des photographies « Child Brides » de Stephanie Sinclair. En 2012, cette photo-journaliste a obtenu le Visa d’or pour son reportage sur des jeunes filles – en Afghanistan, en Ethiopie, en Inde, au Népal et au Yémen – vendues par leur famille à des hommes généralement bien plus âgés.

La robe que Marie-Ange Guilleminot porte en 1994 lors de sa performance Le Mariage de Saint-Maur à Saint-Gallen est d’ailleurs lestée de chapelets de plomb pour que quiconque la soupèse puisse littéralement prendre conscience de son poids, qui entrave le déplacement. Ce faux mariage est célébré à bord d’un avion qui conduit l’artiste d’un homme à un autre. Dans certains pays, le mariage n’est que le transfert de la femme d’une autorité (celle de son père) à une autre (celle de son mari), matérialisé par l’acquittement d’un « prix de la fiancée », comme on appelle la dot en Afrique subsaharienne ou au Kirghizistan, où le rapt – le fait de kidnapper celle que l’on veut épouser – est pratique courante. Son trousseau? Un livre de mouchoirs brodés de poèmes de l’écrivain français Pierre Giquel sur la solitude et l’absence, comme la robe suspendue, une fois quittée, portée une seule et unique fois, exprime l’absence du corps.

Absence de corps et, parfois, de consentement. En avril 2016, 31 robes de mariées, confectionnées avec du tissu, des dentelles et du papier, ont été accrochées par l’association libanaise ABAAD le long de la corniche de Beyrouth pour protester contre une loi archaïque. L’article 522 du code pénal libanais relatif aux viols, agressions, rapts et mariages permet à un violeur d’échapper à la prison s’il accepte d’épouser sa victime. 31 robes sans corps, sans vie, 31 comme autant de jours dans un mois car chaque jour au moins une femme subit les conséquences de cette loi.

Mais au fond, c’est peut-être la performance de Pippa Bacca qui illustre le mieux le glissement du symbole de la robe blanche. En 2008, l’artiste italienne entreprend de rejoindre Jérusalem à pied et en auto-stop, vêtue d’une robe de mariée. Sa démarche est motivée par la volonté de transmettre un message de paix. Elle part de Milan un 8 mai, journée internationale des droits des femmes, avant d’être violée puis assassinée un mois plus tard en Turquie. Ne restent que la robe, et un caméscope. À partir des images récupérées sur cette caméra, avec laquelle Pippa Bacca documentait son périple, le cinéaste et plasticien français Joël Curtz réalise La Mariée (2012). Deux ans auparavant, la réalisatrice turque Bingöl Elmas avait également tourné le documentaire My letter to Pippa, dans lequel on la voit, vêtue d’une robe noire, achevant l’itinéraire de l’artiste italienne. Pour finir, la romancière française Nathalie Léger publie en 2018 La robe blanche, entrelaçant le destin macabre de Pippa Bacca avec les violences quotidiennement infligées aux femmes, à commencer par sa propre mère, une tentative sans doute, comme l’écrit Marie-Ange Guilleminot à propos de ses Vêtements blancs – réalisés à partir d’habits de victimes conservés au musée de la Paix d’Hiroshima – de « perpétuer une mémoire jusqu’aux limites de l’oubli. »

Couverture : Photographie publiée sur le site de l’association libanaise ABAAD en 2016 lors de la campagne « A White Dress Doesn’t Cover the Rape »

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