Trois bus pour une barrière
portrait

Conflit, œuvre, 13 décembre 2018

Trois bus pour une barrière

Trois bus pour une barrière

Chronique par Isabelle Rodriguez

Sommaire

Né à Damas en 1984, l’artiste germano-syrien Manaf Halbouni tient au cœur de ses préoccupations le sort des populations dans les pays en guerre, et en particulier celles contraintes à l’exil, comme il l’a été lui-même.

WhiteFlag est l’une de ses œuvres emblématiques. C’est avec celle-ci qu’il se présente sur son site et qu’il introduit son travail, c’est sa « déclaration ». Dans cette courte vidéo réalisée en collaboration avec la société de production Oscar HR, l’artiste se met en scène, seul, debout face caméra, dans une obscurité profonde d’où n’émerge que sa silhouette brandissant un drapeau. Un drapeau blanc qu’il balance calmement, et qui, à chaque bascule, change de couleur. En voix-off, l’artiste se dévoile : ce drapeau est le seul qu’il fait sien car il parle le langage de l’art, et il croit en un monde de paix dans lequel nous pourrions tous vivre ensemble. Pourtant, malgré cette naïve déclaration pleine de bons sentiments, le pacifiste Manaf Halbouni s’est retrouvé accusé par des activistes d’extrême-droite allemands de faire l’apologie du terrorisme et de la haine. Et ce, pour un malentendu autour d’un drapeau…

En 2015, une photographie avait fait le tour du monde sur le net et les réseaux sociaux : une barricade faite de trois bus dressés à la verticale au cœur d’Alep. En la découvrant, l’artiste est aussitôt saisi par l’énergie qui s’en dégage, par la force nécessaire à l’édification de cette barrière et par la vie qui se poursuit, avec les enfants qui jouent et avec les commerces environnants ouverts. Cette image lui inspire alors son installation Monument, forme de réplique de la palissade d’Alep, installée en février 2017 à Dresde sur la place du nouveau marché, devant l’église Frauenkirche reconstruite, dans cette ville qui a elle-même connu les meurtrissures d’une guerre.

Or cette place précisément est, tous les lundis soirs, le lieu de rassemblement des membres du mouvement Pediga, un mouvement xénophobe dont Dresde est le berceau. Ses militants, qui scandent des slogans de l’époque nazie, accusent l’artiste et le maire Dirk Hilbert de faire l’apologie du terrorisme avec cette œuvre installée dans un lieu public qu’ils considèrent comme le leur, devenu pour eux un symbole de leur regroupement.

Pour appuyer leurs propos, ils agitent une autre photographie qui a circulé elle aussi sur les réseaux sociaux : celle de cette même barricade de bus, mais flanquée en son sommet d’un drapeau aux couleurs de l’organisation salafiste Ahar Al-Cham. On comprend qu’un édifice aussi visible dans la ville ait pu servir de porte-étendard pour une organisation militaire, mais l’artiste le dit : cette photographie-là, celle au drapeau, il ne l’a jamais vue et il rappelle que l’on ignore en fait dans quelles circonstances ces bus ont étés placés ainsi. Ce qui l’intéresse est, nous l’avons vu, ailleurs.

Dans cette Saxe secouée par des crimes racistes et xénophobes, Manaf Halbouni l’affirme, il ne renoncera pas, et continue de répondre avec patience à ses accusateurs, en mots ou avec son art. Autour de lui, des mouvements de solidarité s’organisent pour dénoncer la pression que le mouvement Pediga fait peser sur l’ensemble de la ville, ou plus généralement pour signifier l’inquiétude que suscite la progression de l’extrême-droite dans le paysage politique.

Couverture : Vue de l’installation Monument, Manaf Halbouni, 2017. Porte de Brandebourg, Berlin. ©DR

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