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Les îles-musées en Mer Intérieure

Chronique par Isabelle Rodriguez

Sommaire

Entre trois des quatre plus grandes îles qui forment le Japon, s’étend la mer intérieure de Seto, bordée par les côtes d’Honshū, de Shikoku et de Kyūshūau sur lesquelles s’élèvent de gigantesques villes portuaires comme Kobe ou Hiroshima. Entre elles, plus d’un millier de petites îles s’égrainent dans ces quelque 23 000 km2.

La région du Japon d’aujourd’hui offre une image saisissante de contrastes, entre un pays traditionnel rural et son pendant sur-industrialisé et bétonné où des temples ancestraux côtoient des infrastructures à la pointe de la technologie. Vantée pour la douceur de son climat protégé des précipitations, la Mer Intérieure peine à faire oublier son passé industriel et les scandales liés à la pollution que de très nombreux sites maintenant fermés – principalement d’exploitation et de transformation du cuivre – ont propagé pendant des décennies, laissant des paysages saccagés, des villages désertés et des ruines nombreuses.

Aujourd’hui pourtant, trois de ces minuscules îlots au cœur de l’archipel reçoivent des centaines de milliers de visiteurs par an, qui enchaînent voyage en train et périples de plusieurs heures en bateau depuis Tokyo pour venir jouir d’un lieu où l’art s’est fait une place dans une nature sublimée. A Naoshima, Teshima et Inujima, musées de béton à ciel ouvert, lieux d’expositions et jardins créent une atmosphère d’une force et d’une délicatesse rares, entre construction et réhabilitation.

Le fondateur de cet ensemble hors du commun, Soichiro Fukutake, est né non loin de là d’un père amateur d’art, dont il a hérité de la collection et … d’un terrain situé au sud de Teshima. Il décide alors de dédier cet espace aux arts visuels, faisant le pari de lutter contre la désertification des lieux et de valoriser l’image de la région, loin des « métropoles monstrueuses », avec la construction d’un vaste projet muséal dont Tadao Ando sera l’un des principaux architectes.

Et le moins que l’on puisse dire, même si l’on ne peut s’empêcher de voir dans ce projet une immense attraction touristique, c’est que cet ensemble ttalement intégré au paysage et à l’histoire des îles qu’il occupe, est étonnant et grandiose. On y trouvera entre autres le Benesse House Museum — du nom de la fondation de Fukutake — qui comprend un hôtel permettant à quelques hôtes privilégiés de profiter de l’impressionnante collection en dehors des heures d’ouverture. Le Chichu Art Museum qui disparait littéralement sous la terre, propose des œuvres de Walter de Maria, James Turell, ou encore un ensemble des Nymphéas de Monnet éclairé par un un jeu de lumière naturelle. Plus loin, le Lee Ufan Museum est consacré à l’artiste, tandis que dans les ruines d’une ancienne raffinerie, Hero Dry Cell, une œuvre de Yukinori Yanagi est entièrement dédiée à l’écrivain Yukio Mishima qui s’est suicidé ici.

Enfin depuis 1998, dans le cadre du programme Art House Project, ce sont une dizaine de lieux d’exposition supplémentaires qui ont été pensés dans des constructions traditionnelles au cœur du village de Honmura. Dans ce petit havre de pêcheurs, où se trouve déjà le Musée construit par Kazuyo Sejima pour l’œuvre Matrix de Rei Nato, des artistes ont été invités à investir des espaces abandonnés au milieu même des habitations. Dans l’une des plus anciennes maisons du centre ville, Tatsuo Miyajima a installé Sea of Times ’98, co-réalisée avec les habitants. Chacun a décidé de la vitesse à laquelle défilera le petit compteur en lampe led qui lui est attribué et qui sera placé avec tous les autres dans un bassin central, une façon d’immortaliser les vies multiples. Shinro Ohtake revisite un cabinet dentaire en Musée du kitsch. L’ancienne maison du Jeu de Go est investie et transformée par Yoshihiro Suda qui dépose des fleurs en bois sculpté tout autour de l’arbre camélia planté par ses soins dans la cour (Three of Spring). Appropriate Proportion est une œuvre d’Hiroshi Sugimoto qui a imaginé un escalier en verre optique reliant ce qu’il restait d’un temple shintô à un tertre funéraire, signifiant « l’harmonie de la naissance et de la mort ».

« C’est un paradis pour les vivants », dit Soichiro Fukutake. Un paradis peut-être, mais son concepteur de préciser : « Ce n’est pas un lieu de villégiature. C’est un lieu de résistance à la société moderne, un lieu de diffusion d’une nouvelle vision du XXIème siècle. Le spectateur doit être en tension. »

Couverture : Vue aérienne du Chichu Art Museum. © Benesse Artsite

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