Sur l’île de La Gomera, dans l’archipel des Canaries, perdure un langage étonnant : le Silbo Gomero. Ce dernier est en effet une langue sifflée encore en usage, qui reproduit l’Espagnol (le Castillan très exactement) par des sifflements — figurant désormais sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité dressée par l’Unesco.
Bien loin de là, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, des enfants de la Goutte d’Or se sont penchés avec intérêt sur cette langue peu connue, accompagnés par les deux artistes Stéphanie Rollin et David Brognon. Le duo d’artistes, formé en 2006, a travaillé avec les élèves à transformer un élément emblématique s’il en est : la sonnerie, qui, jusqu’à 17 fois par jour, morcelle et rythme la journée de l’établissement scolaire. Ce sont désormais autant de phrases musicales, scandées par les haut-parleurs qui accompagnent les élèves et les équipes pédagogiques ; des phrases choisies par les enfants et sifflées en Silbo, qu’un enseignant venu des Canaries a enregistré pour la réalisation du projet. « La cour d’école est le lieu créatif par excellence où s’invente des mots, des expressions, des codes qui permettent aux enfants de communiquer à l’insu des adultes. Cette sonnerie sifflée est en revanche un secret entre les élèves et les professeurs. C’est aussi pour nous un clin d’œil ironique à l’expression On n’est pas des perroquets », confient David Brognon et Stéphanie Rollin à propos de cette œuvre in-situ intitulée Train Your Bird To Talk, et réalisée par la structure SOCIETIES dans le cadre d’une commande des Nouveaux Commanditaires de la Fondation de France.
Accompagnée par ces partenaires, l’école élémentaire Pierre Budin de la Goutte d’Or a fait le choix d’une aventure et réussie : celle de laisser entrer et s’installer pleinement l’art dans le quotidien des élèves et de leur famille avec des projets ambitieux. Les artistes bénéficient d’une grande liberté, le temps d’une année scolaire chacun, rythmée par des temps de partage avec les écoliers qui mènent des projets dans leurs classes et découvrent en parallèle les musées et les centres d’art de la Région. « Nous ne demandons pas aux artistes qu’ils soient pédagogues, éducateurs ou animateurs. L’important, c’est qu’ils soient là. Et que les élèves assistent au processus de création », complète Pierre Perrin, le directeur qui fut à l’initiative du projet. Se sont succédés Claude Levêque, pour son projet 2012 Seasons in the abyss, Malachi Farrell avec Fréquence casserole, ou encore Chourouk Hriech et Bertrand Lamarche. Certaines productions continuent même leur vie hors de l’école, comme ce fut le cas pour Flow612 de Daniel Larrieu, présentée dans de nombreux festivals et structures. Avec l’art, la petite école de la Goutte d’Or se réinvente et réinvente une façon d’être à l’école.
Sonneries de l’école Pierre Budin, Paris (extrait) :
Couverture : courtesy Stéphanie Rollin et David Brognon.