C’est depuis Beyrouth où elle s’est réfugiée avec sa famille, que la graphiste syrienne Sana Yazini, née en 1970 et diplômée des Beaux-Arts de Damas, s’est lancée en mai 2013 dans la création de la plateforme The Creative Memory of The Syrian Revolution. Un site trilingue —français, anglais, arabe — non pas pour raconter les événements de la Révolution en eux-mêmes, mais pour rendre compte des formes d’expression intellectuelle qui en naissent. « Il s’agit d’écrire, enregistrer, documenter, rassembler les histoires du peuple syrien, grâce auxquelles il a pu reprendre en main le sens de son existence sociale, politique et culturelle. »
Devant la masse d’archives réparties en vingt-deux catégories, difficile de ne pas céder à l’émotion. Photographies, vidéos, dessins, mais aussi banderoles, théâtre, émissions de radio, publications, sculptures et même timbres, ce sont des milliers de voix qui peuvent être entendues, enfin. Des témoignages directs, venus de toutes les catégories sociales de la population syrienne, cette population grande absente des discours médiatiques et politiques.
Depuis le milieu des années 1980, les journées des écoliers comportent des « heures vides » : des heures de rien, d’attente, en lieu et place des anciens créneaux horaires dévolus au sport, à la musique, aux arts plastiques. Les générations privées de ces espaces de découverte et d’expression font partie aujourd’hui des créateurs qui tentent de défier la censure. Malgré plusieurs initiatives, Internet ne gardait jusqu’alors que des traces fugaces de cette culture contestataire, essentiellement constituée au départ de vidéos tournées dans les manifestations, sur le vif, au smartphone, et diffusées en ligne dans le souci d’apporter des preuves de ce qui se passe dans les rues. Mais l’armée numérique de Bachar El-Assad veille, Youtube efface les vidéos au contenu jugé trop violent et tous ces témoignages finissaient donc par disparaître.
Archiver, c’est constituer un lieu de mémoire collective, un lieu d’où l’on peut écrire l’Histoire. Inlassablement, avec une conviction qui jamais ne s’essouffle, Sana Yazini parcourt le monde pour présenter son projet, dans de nombreux festivals et centres d’art — ô Proche Orient, FAB, Syrien n’est fait, Vagamonde, Sens interdits — où elle organise des expositions à partir des œuvres répertoriées sur le site. Des interventions archivées elles aussi, et à retrouver en ligne.
Couverture : Dans l’objectif du jeune Dimashqi, Rien d’autre n’interrompt ses divines mélodies que l’impudence des avions de chasse russes dans le ciel, Damas le 21.11.2015. Source : creativememory.org