Soldats suisse sur la ligne frontière
Soldats suisse sur la ligne frontière

L’Encyclopédie des guerres – Montagnes (soumission des)

Chronique par Jean-Yves Jouannais

Sommaire de l’édition

Une fois par mois, à partir de septembre 2020, Switch (on Paper) publie un extrait de l’Encyclopédie des guerres de Jean-Yves Jouannais. Ce qui devait être au départ un chantier de littérature orale prend peu à peu la forme d’un livre. L’ouvrage étant annoncé pour 2030. En attendant, voici en exclusivité la huitième de ces douze chroniques livrées par ordre alphabétique, telles des entrées d’un immense atlas des guerres. Aujourd’hui, M comme Montagnes.

Ascension du mont Elbrouz par la Wehrmacht en 1942

Ascension du Mont Elbrouz par la Wehrmacht en 1942

« Après trois heures de lutte, la montagne était conquise. »

(Euclides da Cunha, Hautes Terres, La guerre de Canudos, traduit du brésilien par Jorge Coli, Antoine Seel, Éditions Métailié, Paris, 2012, p. 288)

Crétins d’alpinistes

Dans ses Mémoires, Au cœur du Troisième Reich, Albert Speer raconte le jour où tomba la nouvelle que des troupes de montagne allemandes avait gravi le mont Elbrouz, le plus haut sommet du Caucase. Sur cette cime haute de 5 600 mètres flottait dorénavant le drapeau allemand. Cela eut lieu au milieu de l’année 1942 tandis que la Wehrmacht poussait ses conquêtes vers les champs pétrolifères de Bakou. L’escouade en question, détachée de la division Edelweiss, crut réaliser là une action d’éclat digne des plus hauts faits d’armes. Mais, en haut lieu, on estima que cette opération, pour le moins inutile, n’avait été qu’une acrobatie d’alpinistes fanatiques en mal d’aventures. Albert Speer, qui avait assisté à nombre de colères d’Hitler, avoue ne l’avoir jamais vu s’abandonner à un tel excès de fureur. Il n’eut de cesse de vitupérer contre « ces crétins d’alpinistes ». Il menaça de traduire en conseil de guerre leur commandant, le général Martinek, pour avoir risqué la vie de ses hommes afin de s’emparer d’un sommet idiot.

Subjuguer (les hauteurs)

Des militaires italiens hissent un canon

Militaires italiens hissant un canon durant la Première Guerre mondiale

1/
Malgré son succès contre les cohortes commandées par le préteur Gaius Claudius Glaber, Spartacus renonça à son premier projet de marcher contre Rome. Il éprouvait n’être pas encore assez habile dans le métier de la guerre, savait que ses troupes n’étaient pas convenablement armées, que nulle cité ne le secondait. Il préféra s’emparer des montagnes qui avoisinent Thurium et dominent le golfe de Tarente. Il soumit leurs hauteurs. On désira y voir un manque d’ambition. C’est que, tout au contraire, il désirait progressivement acclimater ses hommes aux sentiments de la hauteur et donc du succès.

2/
Le 30 octobre 1938 commença la contre-offensive nationaliste sur l’Ebre. Le lieutenant-colonel Garcia-Valino lança son corps d’armée, en entier, contre les derniers contreforts nord de la Sierra de Caballs. Il s’empara des premiers retranchements ennemis. Sur les sommets, la bataille se poursuivit toute la journée. La nuit venue, les Nationalistes étaient maîtres des Caballs, et de tout le réseau de défense des Républicains. La soumission de ces montagnes fut pour la République un coup terrible, car non seulement elles commandaient toute la région, mais aussi on les trouvait belles et l’on éprouvait, à les posséder, une inexplicable fierté.

3/
Le 26 novembre 1941, six porte-avions japonais et leur armada, sous les ordres de l’amiral Nagumo, quittaient les eaux discrètes de l’archipel des Kouriles. Cap sur les îles Hawaï. Le 3 décembre, l’ordre officiel de l’attaque parvint sur la passerelle du porte-avions Akagi. Le conseil impérial avait opté pour la guerre. L’agression de Pearl Harbour, en code, se disait « Niitaka Yama Nohore » (« Gravissez le mont Niitaka »).

4/
Les Indiens, en armes, narguaient Alexandre du haut d’un rocher appelé Aornis. Large à sa base, il se terminait en une pointe aiguë. Le pied en était baigné par le fleuve Indus ; de l’autre côté étaient d’affreux ravins. La renommée publiait qu’Hercule l’avait assiégé en vain. II n’y avait pas d’autre moyen d’attaque que de combler ces abîmes. Alexandre fit couper la forêt, et fit entasser une multitude de troncs d’arbres. Au bout de sept jours les précipices étaient comblés, alors Alexandre ordonna à ses archers et aux Agriens de gravir les flancs escarpés du roc. Il fit marcher avec eux trente jeunes gens tirés de sa compagnie. On apprit qu’entretemps les Indiens avaient fui et abandonné le rocher. Alexandre, vainqueur de la nature plutôt que de l’ennemi, n’en acquitta pas moins sa dette envers les dieux par les sacrifices qu’il leur eût offerts pour une victoire éclatante. On éleva sur le rocher des autels à Minerve et à la Victoire. Il tenait à devoir cette victoire, comme toutes les autres, à son seul génie militaire.

Soldats allemands pendant la bataille de la forêt de Hürtgen

Prisonniers allemands à la frontière belgo-allemande, entre septembre 1944 et février 1945, lors de la Bataille de la forêt de Hürtgen, baptisée l’Enfer vert

« Mieux vaut Kaboul sans or que Kaboul sans neige »

Les plus hauts sommets de l’Hindou-Kouch, toujours enneigés, excèdent les 7 000 mètres. La neige sur leurs sommets est la principale source d’eau dans un pays où il ne pleut presque jamais. Un proverbe afghan dit : « Mieux vaut Kaboul sans or que Kaboul sans neige ». La bataille du Col du Maravar fut une opération menée par la 1ère Compagnie du 334e Groupe de Spetsnaz contre les villages afghans de Sangam et Daridam, dans la province de Kounar, les 21 et 22 avril 1985, pendant la guerre soviétique en Afghanistan. Les unités soviétiques s’engagèrent dangereusement au pied de cimes abruptes, précisément des crêtes de calcaire juchées en discordance angulaire sur des schistes anciens plissés et nivelés. Les mitrailleuses lourdes des moudjahidines installées sur leurs sommets, arrosèrent la 1ère Compagnie, empêchant les 2e et 3e de la rejoindre pour l’épauler. Ce fut une hécatombe. Le capitaine Nikolay Tsebruk, qui commandait, fut abattu, touché à la gorge. De cette défaite, il sera dit côté soviétique, par euphémisme ou superstition, que « la montagne était trop haute, l’or inatteignable », pour ne pas avoir à dire que l’ennemi s’était montré plus fort.

Alpes (Soumission des)

1/
L’historien allemand Theodor Mommsen (1817-1903) est l’auteur d’une monumentale Histoire romaine. Au seuil de son 6e livre, au 1er chapitre intitulé « Les frontières septentrionales de l’Italie », lorsqu’il en vient à traiter des campagnes menées sous Claude, successeur de César, pour la pacification des Alpes, il donne pour titre à l’un de ses paragraphes : « Soumission des Alpes ».

Pièce d'artillerie dans les Alpes

Pièce d’artillerie dans les Alpes durant la Première Guerre mondiale

2/
Lorsque Tite-Live, dans son Histoire romaine, fait parler Hannibal, tandis que commence la Seconde guerre punique, il exprime sa fierté d’avoir grandi sous la tente de son père, d’avoir subjugué et l’Espagne et la Gaule, mais surtout d’avoir été « le vainqueur non seulement des peuples des Alpes mais, exploit plus magnifique encore, des Alpes elles-mêmes. »

3/
Constituée en 1938, la 10e Brigade d’infanterie de montagne se composait d’un noyau de deux régiments d’infanterie de montagne, l’un vaudois, l’autre valaisan, ainsi que d’éléments de soutien d’artillerie, motorisés et à cheval, et de formations de génie, sanitaires, de ravitaillement et de transport. Son effectif, initialement de 11 000 hommes, a atteint jusqu’à 35 000 hommes. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle fut subordonnée au 1er corps d’armée et reçut la mission de protéger les cols sud des Alpes dans les régions du bas-Valais et du Chablais. Son secteur s’étendait du val d’Anniviers inclus jusqu’au Léman. Elle devait donc défendre deux fronts, face à la Haute-Savoie française et face à l’Italie. Elle remplit admirablement sa mission et tint sans faiblir ces sommets que personne ne songea à attaquer. Elle fut transformée en 10e Division de montagne en 1961. Suite à la réforme Armée XXI, elle reprit, en 2004, son nom de 10e Brigade d’infanterie de montagne, avant d’être dissoute fin 2017. Elle garda jusqu’à son terme, parmi les grandes unités de l’armée suisse, le lustre et la gloire de sa longue et patiente guerre alpine.

Captivité des sommets

Un certificat du Maréchal Duc d’Aumont reconnaît Jean de Berment pour un « homme de cœur et très-affectionné au service du Roi », l’ayant vu dans une occasion donner des preuves de sa valeur. C’était à la bataille des Montagnes-Noires, à Fribourg-en-Brisgau, en 1644, « où la chaleur du combat l’ayant jeté bien avant entre les ennemis, il prit un étendard du Régiment de Gaspard von Mercy, et se retira glorieux, chargé des dépouilles de l’ennemi. Chacun fut témoin que, sans un ordre de repli, Jean de Berment aurait ramené captives les montagnes du Schlossberg et du Kandel elles-mêmes et toute leur forêt de sapins noirs. »

Le désastre de Caporetto

1917, des soldats italiens escaladent un sommet lors de la bataille de Caporetto

La bataille du col de Mang Yang

Le karst est une structure géomorphologique résultant de l’érosion hydraulique des roches calcaires. Les Montagnes centrales, qui sont de hauts plateaux dans la province de Gia Lai, appartiennent au plus vaste espace karstique du Vietnam. Ces paysages se sont développés entre 900 et 1500 m d’altitude suite aux soulèvements du Néogène et du Quaternaire. L’hydrosystème karstique superficiel ne fonctionne qu’en saison des pluies, après de violentes précipitations. En revanche, du fait de fractures, l’infiltration dans l’endokarst s’opère partout. De multiples formes sont ainsi créées par l’eau : canyons, vallées sèches, vallées aveugles, avens, ponors… Par ailleurs, ces ruissellements favorisent la disparition de la couverture des sols rouges. Le 24 juin 1954, l’état-major français donna l’ordre au Groupement mobile 100 d’abandonner sa position de défense à An Khê, un col de ces montagnes centrales, pour se replier à Pieiku, à quelque 50 km plus à l’ouest. La colonne tomba dans plusieurs embuscades. Cette montagne que les troupes françaises n’avaient pas su garder fut le lieu de leur plus sévère défaite, et la dernière. La bataille du col de Mang Yang eut toutes les caractéristiques d’un jeune torrent de montagne, né d’un orage violent, tentant de s’ouvrir son lit, striant la roche calcaire et qui, par manque de débit, de déclivité, d’élan, finit par mourir à peine la vallée atteinte. En cinq jours de combats, le G. M. 100 perdit 85 % de ses véhicules, 100 % de son artillerie, 68 % de ses équipements de transmission, 50 % de ses armes légères. La compagnie d’état-major n’avait plus que 84 hommes sur 222. Le 43e colonial, le 1er et le 2e Bataillon de Corée qui comptaient environ 834 hommes chacun n’avaient plus que respectivement 452, 497, et 345 hommes. Le 2e Groupe du 10e d’artillerie coloniale, réduit à combattre comme une compagnie d’infanterie après la perte de ses canons, ne comptait plus que 215 hommes sur les 475 d’origine. S’éloignant peu à peu des hauteurs, le torrent s’était mué en ru, en filet d’eau asthmatique. C’est Homère, dans l’Iliade, au chant XV, qui employa pour la première fois le mot asthme pour désigner la suffocation atroce dont souffrit Hector, privé de souffle, étendu dans la plaine.

En couverture : soldats suisses à la frontière, au cours de la Première Guerre mondiale (carte postale photographique) © Fondation suisse pour la photographie

[wp-faq-schema accordion="1"]
Envie de réagir ?
[wpforms id="17437"]

Lire aussi...

Parcourez nos éditions

Jean Dupuy par Renaud Monfourny pour la galerie Loevenbruck
04
04

Hommage à Jean Dupuy

Découvrir l’édition
Beaucoup plus de moins
03
03

Beaucoup plus de moins

Découvrir l’édition
Encyclopédie des guerres
02
02

L’Encyclopédie des guerres (Aluminium-Tigre)

Découvrir l’édition
O. Loys, bal des Incohérents
001
001

Décembre 2021

Découvrir l’édition
Younes Baba Ali, art et activisme en Belgique
01
01

Art et engagement Enquête en Belgique

Découvrir l’édition

Parcourir nos collections