Marketing au musée
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Chronique par Zoé Cosson

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Pour fêter les trente ans de la Pyramide de l’architecte Ieoh Ming Pei (récemment disparu), le Louvre s’associe à Airbnb dans le cadre d’un jeu concours. Ensemble, ils offrent à un couple l’opportunité de boire un apéritif devant la Joconde, de dîner face à la Vénus de Milo avant de se coucher blottis dans l’une des salles du musée. Ce dernier rentre ainsi dans l’ère du marketing expérientiel.

Privatiser les galeries du musée du Louvre n’est ni nouveau ni rare, des centaines de films y sont tournés chaque année. Cependant les partenariats équivoques, voire contestables du Louvre, comme ceux d’autres musées internationaux s’accumulent et posent des questions déontologiques de conservation, notamment celle de la protection spirituelle des œuvres. Conserver signifie en effet maintenir à l’abri de toute altération physique mais aussi morale. En ce sens, il paraît légitime d’analyser les relations qu’entretient une institution culturelle publique avec des entreprises ou intérêts privés.

Après avoir accueilli le tournage polémique du clip Apeshit (« Merde de singe » en français)de Beyoncé et JAY-Z, dans lequel la chanteuse danse devant des chef d’œuvres, le Louvre ouvrait également ses portes au jeu télévisé Questions pour un champion en août 2018. Si l’émission attire 1,5 millions de téléspectateurs purement franco-français, le clip Apeshit a été quant à lui visionné plus de 160 millions de fois. Pour le plus grand musée du monde, le calcul semble simple : utiliser les médias pour augmenter sa visibilité, tenter de rafraîchir son image et diversifier sa clientèle.

En somme, l’ancienne résidence des rois de France paraît aujourd’hui prête à tout pour attirer, quitte à abandonner le champ artistique au profit des procédés de l’industrie touristique et culturelle. Comme le constate Christophe Roux, enseignant le marketing des industries culturelles à Sciences Po : « les musées et le Louvre tout particulièrement sont entrés dans l’ère du marketing expérientiel, facilité par l’interactivité des réseaux sociaux ».

Le procédé n’est pas nouveau. la Pyramide du Louvre, construite entre 1985 et 1989 était déjà considérée à l’époque comme un centre commercial. Le partenariat du Louvre avec la plateforme américaine d’hébergement fait toutefois grincer des dents. Impliquée dans la crise du logement, la désertification des villes et peu encline à respecter les lois fiscales françaises, Airbnb est plus que controversé. Si certains voient d’un bon œil la tentative de transformer les internautes en visiteurs, pour d’autres, associer le nom du musée à cette entreprise, altère son image. Dans une tribune au journal « Le Monde » le 12 avril 2019, la philosophe Olivia Bianchi estime qu’il s’agit d’une opération indigne des lieux. Elle décrit ce processus comme une : « pollution de l’atmosphère spirituelle du Louvre ».

Des polémiques avaient déjà éclaté concernant les antennes du Louvre, notamment le Louvre Abou Dabi. L’accord signé entre la France et l’Emirat inclut une manne financière de près d’un milliard d’euros versés aux musées français dont 400 millions pour la seule utilisation du nom « Louvre », considéré comme une marque. Dans une tribune intitulée « Les musées ne sont pas à vendre » (Le Monde du 12 décembre 2006) Françoise Cachin (directeur honoraire des Musées de France), Jean Clair (conservateur général honoraire et écrivain) et Roland Recht (professeur au collège de France) condamnaient déjà la déviance sur un plan moral de l’utilisation commerciale, politique et médiatique de chef d’œuvres du patrimoine, accusant les responsables politiques d’offrir un cadeau royal et diplomatique à Abou Dhabi contre de l’argent : « N’est-ce pas cela vendre son âme ? ». Le Louvre d’ Abou Dhabi a depuis été inauguré en novembre 2017, dans un bâtiment de l’architecte français Jean Nouvel.

Bien que la plupart des musées français et européens aient résisté à ces expansions ou locations commerciales, ils ne peuvent pas faire l’économie de la publicité. Toujours est-il que certains musées se sont montrés capables de faire du marketing avec plus de sagacité et de créativité que le Louvre. En 2013 pour sa réouverture, le Rijksmuseum à Amsterdam, avait animé en temps réel et à échelle humaine le tableau La Ronde de nuit de Rembrandt, sur une musique de Ludwig Van Beethoven. Dans un centre commercial, sous les regards médusés des passants, comédiens, cascadeurs, chevaux, faucon et étendards rejouaient la scène précédant l’œuvre dépeinte, avant de s’immobiliser devant un cadre qui reproduisait minutieusement le tableau.

Ce coup d’éclat marketing prouve qu’il existe un équilibre possible entre rentabilité économique et respect des codes déontologiques des musées publiés par l’ICOM (Conseil international des musées), à savoir les devoirs concernant les collections, la recherche, leur enrichissement, le travail scientifique des conservateurs, ainsi que le rôle éducatif de l’institution.

Couverture : © Roman Slavik / Istockphoto

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