À la fois artiste et reporter-photographe, Mathieu Asselin a un double statut qui lui permet de publier régulièrement ses photographies dans de nombreux journaux et magazines à travers le monde (The New Yorker Magazine, Géo Magazine, Freitag, Paris Match, El Pais, Altair, Gente, Razor Magazine, Le Monde). Basé sur des thèmes sociaux, son travail consiste principalement en des projets d’investigation à long terme : en 2004, il se rend à Madrid pour réaliser un reportage photographique sur le quartier Las Barranquillas, un bidonville considéré avant son démantèlement comme le plus grand hypermarché de la drogue en Europe. De la même manière en 2011, il effectue un travail photographique sur les dégâts causés par la tornade du 22 mai 2011 à Joplin, dans l’état du Missouri aux États-Unis.
Pour mener à bien son projet Monsanto. Une enquête photographique, il a enquêté pendant plus de cinq ans aux États-Unis – berceau de la firme Monsanto – ainsi qu’au sud du Vietnam où le fameux Agent orange (un herbicide à base d’acide) a été déversé pendant plus de dix ans par l’armée américaine pendant la guerre entre 1963 et 1975, contaminant de manière durable jusqu’à dix pour cent de son territoire.
Les photographies prises in situ dressent un portrait accablant des multiples ravages causés par cette industrie chimique géante. Particulièrement difficiles à regarder lorsqu’il s’agit de malades souffrants de malformations génétiques, de familles en deuil ou encore de terres stériles, elles témoignent des nombreux sites hautement contaminés ainsi que des milliers de victimes touchées par les produits successifs crées par Monsanto : PCB, pesticide, glyphosate, OGM et bien sûr Agent orange.
Mathieu Asselin a par ailleurs exhumé et consulté des centaines de documents – extraits de presse, jugements, films, témoignages – qui illustrent et appuient de manière dramatique les pratiques frauduleuses perpétrées par la firme Monsanto depuis près d’un siècle pour établir son emprise mondiale. Les archives font ressurgir des produits dérivés (tels que des jeux de cartes, cendriers, colliers, porte-monnaie), des publicités qui feraient presque rire aujourd’hui tant elles sont absurdes : « Sans produits chimiques, la vie elle-même serait impossible », « Il n’y a pas vraiment de différence entre les produits de Mère Nature et ceux fabriqués par l’homme », ou encore des images de la Monsanto House of the Future, une attraction de Tomorrowland installée à Disneyland en Californie, dont l’intégralité de l’ossature était construite en plastique à l’époque où la société produisait des polychlorobiphényles (PCB).
Ces documents sont autant de preuves qui montrent comment l’entreprise s’engage dans des campagnes de désinformation, corrompt les partis politiques et oppresse les individus qui tentent d’alerter sur des sujets aussi cruciaux que la santé publique ou la sécurité alimentaire. Dans le cas de la tristement célèbre ville d’Anniston en Alabama, devenue cité-fantôme suite aux rejets de substances toxiques produites par l’usine locale, des documents internes de 1970 témoignent de la volonté de Monsanto – propriétaire de l’usine pendant quarante ans – de maintenir l’opinion dans le flou sur les effets du PCB et révèlent la manipulation d’études scientifiques.
Selon l’Agence de protection de l’environnement (EPA) américaine, quelque 530 tonnes de PCB ont été déversées pendant des décennies dans la rivière Snow Creek qui traverse Anniston du nord au sud et au moins 5000 tonnes ont été répandus sauvagement dans deux décharges à ciel ouvert. Pourtant ce n’est qu’en 1995 que la population découvre les dangers encourus. Mathieu Asselin a photographié les maisons rasées, les parcs et stations services abandonnées mais aussi les derniers témoins de cette tragédie, comme David Baker devant la tombe de son frère Terry, mort à l’âge de 16 ans des suites d’une tumeur au cerveau et d’un cancer du poumon liés à l’exposition aux PCB.
Lorsqu’elle est exposée, l’œuvre Monsanto. Une enquête photographique se présente comme une déambulation dans laquelle les rapports d’échelle s’inversent et frappent le visiteur de plein fouet : les photographies de fœtus déformés s’élèvent jusqu’au plafond, un article de journal renversé prend la proportion d’un mur entier, les publicités Monsanto se succèdent encadrées en enfilade comme une accumulation de petits tableaux comiques, et des piles de journaux à la couverture dollar (édités en papier journal par l’artiste) sont disposées sur palettes, en libre-service. Les archives changent de proportions et de statut, se mélangent aux photographies d’une efficacité redoutable. Séduisant au premier abord, le parcours plonge le visiteur dans un univers de plus en plus intolérable : la face noire de Monsanto.
Couverture : Mathieu Asselin lors de son exposition Monsanto, Une enquête photographique, au FOMU, musée de la photographie d’Anvers, 2018