Super Sam, l'architecture alimentaire du modernisme socialiste
Super Sam, l'architecture alimentaire du modernisme socialiste

L’architecture « alimentaire »
du modernisme socialiste

Investigation par Max Cegielski

Sommaire

Depuis la chute du système socialiste en 1989, les autorités polonaises détruisent régulièrement toutes les traces artistiques du vieux régime, ne faisant aucune distinction entre le Réalisme Socialiste et le Modernisme Socialiste pourtant très différents. C’est ainsi que Supersam – chef-d’œuvre architectural de Jerzy Hryniewiecki de 1962 – a été démoli en 2006 et que les fresques, peintures et mosaïques murales d’Edward et Gabriel Rechowicz subissent ici ou là elles aussi le même sort. Les protestations d’artistes et d’architectes n’ont rien changé à ce phénomène dans lequel idéologie et profits immobiliers fonctionnent de concert.

[ 1 ]

Filip Springer, Źle urodzone: reportaże o architekturze PRL-u, Karakter, Cracow, 2011, p.7.

[ 2 ]

Filip Springer, op.cit, p. 7-8.

[ 3 ]

http://neonmuzeum.org/

[ 4 ]

Paweł Giergoń, Mozaika warszawska. Przewodnik po plastyce stolicy 1945-1989, Muzeum Powstania Warszawskiego, Warsaw, 2014, p. 162.

[ 5 ]

In Paweł Giergoń, op.cit., p.10.

[ 6 ]

In Paweł Giergoń, op.cit., p. 9.

[ 8 ]

Max Cegielski, Mozaika. Śladami Rechowiczów, WAB, Warsaw, 2011, p.24.

[ 9 ]

As told by David Crowley in „A land still undiscovered?”, Herito, 17-18, (4/2014-1/2015), p. 12, http://www.herito.pl/en/articles/a-land-still-undiscovered

[ 10 ]

In David Crowley, op.cit, p.19.

[ 11 ]

Max Cegielski, op.cit. p.163.

[ 12 ]

Max Cegielski, op.cit., p. 164.

[ 13 ]

Including „Obrazy w architekturze” in Projekt Kordegarda, curated by Paweł Giergoń.

[ 14 ]

Ewa Toniak, Prace rentowne. Polscy artyści między ekonomią a sztuką w okresie odwilży, Narodowe Centrum Kultury, Warsaw, 2015, p.15.

[ 15 ]

Łukasz Ronduda, „Neo-Avant-Garde Movement in the Security Service Files.”, Piktogram, 9/10, (2007-08), p.34.

[ 16 ]

Łukasz Ronduda, op.cit., p.37.

[ 17 ]

Max Cegielski, op.cit., p.246.

[ 18 ]

Ewa Toniak, op.cit., p.126.

[ 19 ]

Markowska Anna, Dwa przełomy. Sztuka Polska po 1955 i 1989 roku, Wydawnictwo Naukowe Uniwersytetu Mikołaja Kopernika, Toruń, 2012, p.166.

[ 20 ]

Łukasz Stanek, Postmodernism is almost all right. Polish architecture after socialist globalization, Fundacja Bęc Zmiana/Muzeum Sztuki Nowoczesnej, Warsaw 2012, p.8.

[ 21 ]

Paweł Giergoń, op.cit, p.13.

[ 22 ]

Paweł Giergoń, op.cit. p.9.

Un arrêt de tramway en plein cœur de Varsovie : des milliers d’habitants de la capitale descendent à cette correspondance afin de prendre le métro et passent sous les échafaudages qui entourent un immeuble de bureaux en construction. Une pancarte annonce fièrement : It’s Going to be a Good Day (On va vivre une bonne journée)… à condition de louer un nouvel espace de bureaux au Centrum Marszałkowska. Sur son site web, le promoteur garantit une qualité optimale de vie et de travail, parfaitement adaptée au xxie siècle, grâce aux jardins sur le toit et à un emplacement idéal. Il y a un an, le supermarché coopératif Sezam, qui occupait le site, a été démoli. Il faisait partie d’un complexe urbain comprenant tours résidentielles et grands magasins, appelé le « Mur de l’Est », construit le long de la principale voie d’accès, la rue Marszałkowska, en face du Palais de la Culture et de la Science, sur la place Defilad.

Magasin Supersam, auteur inconnu, courtesy of Rechowicz Archive

Magasin Supersam, auteur inconnu, courtesy of Rechowicz Archive.

Le grand magasin Sezam a ouvert ses portes en 1968. Les murs du rez-de-chaussée étaient couverts de carrelage de céramique vert-jaune à motif ondulé. Une enseigne à néon trônait au-dessus de l’entrée principale, d’une forme tout aussi moderniste que celle du bâtiment. Cette architecture épurée avait déjà été détériorée en 1992 par l’aluminium postmoderne et l’extension en verre du premier McDonald’s. Sezam fut officiellement inauguré par Jacek Kuroń, alors ministre du Travail et de la Politique sociale car le supermarché avait subventionné son programme d’aide aux plus pauvres. Diverses personnalités et artistes locaux participèrent à la cérémonie d’ouverture. Les dernières années de son existence, Sezam – tout comme d’autres bâtiments du centre-ville – a servi de panneau publicitaire. Des banderoles grand-format couvraient la façade, des noms de marques italiennes de vêtements bon marché brillaient sur le toit, et dans un angle un écran immense diffusait des clips vidéo publicitaires. Quand la démolition a commencé, en voyant tomber les mosaïques sales du bâtiment et du fast-food tout aussi dégradé , bien qu’ayant trente ans de moins, je me suis de nouveau posé les questions soulevées avec tant de pertinence par Filip Springer : « Si cette architecture est supposée être de la bonne architecture, pourquoi est-elle partie à la dérive ? Et si elle a fini par avoir cette allure-là, pourquoi est-ce que je l’aime tellement ? Et dans ce cas, que veut dire de la bonne architecture ? Est-ce une opinion subjective ou un constat objectif 1 ? »

Filip Springer a consacré un livre, Źle Urodzone (Mal né), aux derniers bâtiments du modernisme socialiste (soc-modernisme) : « Ce terme donne le pedigree de ces bâtiments. Ils ont vu le jour en des temps mauvais, difficiles, douloureux, ratés et lamentables. Et comme si cela ne suffisait pas, quand ce temps-là fut révolu, on ne les associa qu’à cette mauvaise qualité socialiste. On les a parfois étiquetés ‘totalitaires’, ce qui signifiait leur bannissement pur et simple. Tel est le destin des meilleurs bâtiments de cette époque : nous les avons oubliés, nous avons cessé d’en prendre soin, cessé de les regarder. Ils ont bel et bien existé, mais ils sont devenus invisibles pour nous. Ils n’ont ressurgi que brièvement, quand il a fallu s’en occuper2. » Et nous nous en sommes occupés, surtout juste avant leur disparition, comme ce fut le cas pour le grand magasin Sezam. Le promoteur chargé de construire le nouveau complexe de bureaux, symbole d’une nouvelle vague de modernisation, a promis de replacer l’enseigne néon d’origine, mise à l’abri avant le début de la démolition. Début 2018, quand le projet sera « mis en service » – selon le jargon capitaliste appliqué à l’architecture et aux bâtiments – nous verrons si ce grand promoteur a tenu parole. Sinon l’enseigne aura de bonnes chances de rejoindre le musée du Néon3, où une bande de passionnés restaure et expose les publicités au néon de l’ère de l’économie marxiste, quand la libre concurrence n’existait pas.

Malheureusement, le motif du carrelage en céramique a irrémédiablement disparu, mais des spécialistes en architecture – tels que Paweł Giergoń, auteur de Mozaika Warszawska. Przewodnik po plastyce w architekturze stolicy 1945-1989 (Les Mosaïques de Varsovie. Guide des éléments décoratifs dans l’architecture à Varsovie, 1945-1989) – savent qu’il a été dessiné par un artiste peu connu, Tadeusz Błażejewsk4. Est-ce à dire qu’il n’était-il qu’un simple artisan obscur au service de l’appareil idéologique de l’Etat socialiste, auquel cas on pouvait rejeter son œuvre ? Le grand magasin Sezam, bien que délabré, ne méritait-il pas d’être conservé ? Pourquoi, sur le seul territoire de Varsovie, outre le Sezam, a-t-on détruit au moins six cinémas et plusieurs restaurants populaires ornés de détails polychromes, de reliefs et de mosaïques ? L’élégant Pavillon de l’entreprise d’Etat Chemia, avec ses panneaux peints, a été entièrement démoli. Au moins deux grands magasins avec des peintures murales et sur verre ont été reconstruits et modifiés ; plusieurs compositions dans des bureaux de poste et des librairies ont été badigeonnés de peinture5. Chaque grande ville polonaise a subi une perte irréversible avec la destruction de ces bâtiments construits entre 1945 et 1989, sans parler des décorations intérieures. « Comment en est-on arrivé là ?, se demande Paweł Giergoń. A-t-on jugé cet art trop jeune pour être envisagé dans la perspective de l’histoire de l’art ? Ou, peut-être, était-ce sa nature particulière, qualifiée par certains d’alimentaire ou de ‘pot-boiler’, considérée comme un travail indigne d’un véritable artiste6 ? ».

SUPERSAM – SUPER SHOP

Ceux qui ont investi dans le complexe Centrum Marszałkowska sont aussi les propriétaires de Plac Unii Shopping, situé plus près du centre-ville. Ce centre commercial, destiné à une clientèle plutôt aisée, est entouré d’autres immeubles de bureaux. Le bâtiment principal de cet ensemble, qui est aussi le plus haut, héberge le siège central d’une banque parmi les plus puissantes du monde. Ses espaces de bureaux ont été embellis grâce à une collection d’art contemporain polonais, achetée par la fondation gérée par la banque. Cette fondation acquiert des œuvres créées par des artistes reconnus ; elle soutient également l’événement le plus important et le plus prestigieux en matière d’art : le Weekend des Galeries de Varsovie. Le tout au nom de la « Responsabilité Sociale des Entreprises ». Cette dernière faisait-elle défaut quand Supersam – le plus remarquable des bâtiments du modernisme tardif de la République populaire de Pologne – fut démoli ? Aucune trace, pas même de son enseigne néon caractéristique, ne reste du bâtiment qui, de même que son décor intérieur, est considéré par les historiens de l’architecture comme une œuvre d’art.

Magasin Supersam, auteur inconnu, courtesy Rechowicz Archive

Magasin Supersam, auteur inconnu, courtesy Rechowicz Archive.

La décision de construire ce bâtiment en « mode priorité » fut prise par le Conseil National de la municipalité de Varsovie en 1960, au tout début de la soi-disant « petite stabilisation », un « dégel » politique qui suivit la mort de Staline. Les autorités avaient cessé d’imposer la doctrine esthétique du réalisme socialiste. Les artistes étaient de nouveau libres de voyager en Europe de l’Ouest. Un bon nombre d’entre eux partirent pour Bruxelles en 1958 afin de participer à l’Exposition Universelle où ils rencontrèrent des architectes de renom, tel Le Corbusier et ses combinaisons de ciment brut et de verre et divers types de décorations murales. Les designers polonais adaptèrent rapidement le langage visuel du modernisme que beaucoup parmi eux avaient déjà pratiqué avant la Seconde Guerre mondiale. L’art abstrait, considéré depuis 1948 comme un produit de l’Occident moralement corrompu, fut de nouveau exposé dans les musées et les galeries. Des motifs cubistes qualifiés de « Picasso » apparurent sur les rideaux, les parapluies, le papier peint et les robes. L’économie polonaise, qui n’était plus soumise à l’obligation d’une industrialisation rapide, surmontait lentement et sûrement la crise provoquée par les destructions de la guerre. Il fallait que Supersam soit son magasin phare, la carte de visite du « socialisme à visage humain ». Il fallait un bâtiment à sa mesure.

Le travail fut confié à l’équipe dirigée par le célèbre architecte Jerzy Hryniewiecki, né en 1908. Les compétences des experts, notamment celles de Wacław Zalewski, rendirent possible la création d’un pavillon dont le toit incurvé était soutenu par un système de cordages et de câbles, sans piliers intérieurs. « Du verre, de l’aluminium, de l’air et de la lumière. Voilà de quoi est fait le tout dernier joyau de Varsovie », s’exclama la Chronique du Film Polonais, adoptant le langage de la modernité plutôt que celui du socialisme7.

Cette architecture spectaculaire mais « froide » avait besoin d’être agrémentée d’éléments décoratifs. Hryniewiecki passa commande à trois artistes : Hanna et Gabriel Rechowicz et leur ami et partenaire Edward Krasiński, qui, grâce à ses travaux dits de « lignes bleues », allait devenir un artiste conceptuel important. Le bâtiment Supersam fit grande impression sur Gabriel Rechowicz, qui dans une interview se déclara ravi : « On dirait la nageoire d’une baleine ou une feuille immensément agrandie : magnifique8. » La peinture géométrique qu’il conçut couvrait l’espace libre du mur au-dessus du Frykas (friandises) Bar, qui occupait la moitié du pavillon. Juste à côté, dans le passage menant au magasin principal, se trouvait une autre mosaïque de pierres ainsi qu’une fresque, probablement posée par Hanna Rechowicz, la femme de l’auteur, et co-auteur d’un grand nombre de ses œuvres. Les immenses baies du Frykas bar durent être protégées de la lumière du soleil. L’énorme toile imprimée fut probablement dessinée par Krasiński. Mais les historiens de l’art ne peuvent établir avec certitude l’identité du véritable auteur parmi les trois artistes qui habitaient ensemble et se remplaçaient fréquemment au gré des contrats. Le travail d’équipe était de mise pour les architectes car ils n’avaient pas le droit de fonder des cabinets privés. Il reste uniquement quelques photographies de la décoration intérieure. Il fallut commencer par se débarrasser des rideaux qui auraient rapidement pâti des émanations de cuisine de la cafétéria qui servait chaque jour des milliers de repas. La fresque de Rechowicz disparut au début des années 90, lorsque Frykas fut remplacé par un autre McDonald’s, le deuxième à ouvrir ses portes à Varsovie. Le bar fut transformé en magasin de landaus pour bébés. Même si les décors muraux furent dissimulés par des panneaux en plâtre colorés, ils disparurent à jamais quand le bâtiment fut démoli en 2006.

Mosaïque de Maria Leszczyńska, Zodiak Bar, détruit. Courtesy Paweł Giergoń/sztuka.net

Mosaïque de Maria Leszczyńska, Zodiak Bar, détruit. Courtesy Paweł Giergoń/sztuka.net

Nous connaissons ces œuvres grâce aux histoires qu’on raconte et aux photographies en noir et blanc. Ces dernières furent commandées aux artistes les plus en vue, notamment Zbyszko Siemaszko, Tadeusz Rolke ou Eustachy Kossakowski (qui a également photographié les sculptures spatiales et les expérimentations des lignes bleues d’Edward Krasiński). Les trois, ainsi que beaucoup d’autres, ne furent pas que photo-journalistes mais des maîtres dans leur domaine. Leurs images étaient publiées dans la magazine Poland, vendu à l’étranger pour promouvoir l’excellence de la culture polonaise, dans Stolica, basé à Varsovie, et dans Projekt, spécialisé dans l’architecture et dans l’industrie du bâtiment. Cette vision du passé, fondée sur ces photographies en noir et blanc si séduisantes, élégantes, composées et prises avec soin, éveille en nous nostalgie et mélancolie.

Mais le Supersam était-il aussi beau que ces photographies nous le laissent croire ? Hanna Rechowicz rapporte que la nourriture au Frykas bar était dégoûtante. La presse révèle quant à elle que le magnifique toit fuyait dix ans après l’ouverture du magasin. Avec les crises économiques successives qui ont secoué la Pologne, il y avait en permanence une pénurie de biens de consommation ; les agrumes vendus le jour de l’ouverture ne sont réapparus que lors d’occasions spéciales, notamment avant les élections législatives. La qualité de la construction laissait beaucoup à désirer. Dans la République populaire de Pologne et son économie contrôlée et planifiée, il y avait toujours une pénurie de quelque chose : du ciment à un moment, du verre et des vis à un autre, et par conséquent il n’était pas possible de mettre correctement en œuvre des projets ambitieux. Ceux qui fréquentaient ces bâtiments chaque jour les considéraient comme un élément permanent d’une réalité quotidienne pénible, et non comme un joyau architectural.

Néanmoins, début 2006, le site sztuka.net, piloté par Paweł Giergoń, un expert en matière d’architecture et d’arts plastiques de la République populaire de Pologne, a lancé une pétition contre la démolition de Supersam. Des milliers de personnes ont signé. Une requête a été simultanément déposée pour que Supersam soit classé monument historique, tandis que le statut de l’architecture moderniste fut l’objet de vives controverses dans tous les médias. Le propriétaire de Supersam, la Coopérative des Consommateurs Spolem, qui avait bien l’intention de tirer profit de la vente du terrain qui avait suscité l’enthousiasme, a demandé une expertise. Cette dernière en a conclu que le magnifique toit était rouillé et donc dangereux. Si l’effondrement était imminent, pourquoi le magasin continuait-il à fonctionner, se demandaient les défenseurs du bâtiment en présentant d’autres résultats qui indiquaient que la structure de Zalewski était relativement solide et pouvait être renforcée pour un prix raisonnable.

Les propriétaires du Supersam décidèrent de suivre les fausses conclusions de l’expertise, et le public n’eut pas accès aux détails techniques de l’étude. La Coopérative Społem, conjointement à l’investisseur, recruta une agence de relations publiques pour convaincre les habitants de Varsovie que la démolition était nécessaire. Les communicants publièrent de nombreux textes qui remettaient en question la valeur réelle du bâtiment, et firent pression sur les journalistes. Les dirigeants politiques des deux côtés s’impliquèrent dans le conflit et l’Agent Provincial de la Conservation entama la procédure de classement du bâtiment au titre des monuments historiques. Les partisans de la démolition soutinrent que Supersam était un bâtiment soc-réaliste, tout comme le Palais de la Culture et de la Science (offert à la ville par les autorités soviétiques et dont la démolition fut également réclamée par certains politiciens de droite). Le conflit prit tellement d’ampleur que ceux qui étaient en faveur de sa restauration commencèrent à recevoir des menaces. A la fin de l’année, l’Agent de Conservation abandonna de manière inattendue la procédure de classement et de protection du bâtiment, et le ministère de la Culture et du Patrimoine clôtura le dossier, en dépit de nombreux appels contre cette décision. Supersam fut détruit presque aussitôt, juste avant Noël, et le terrain resta vacant quatre années durant.

Le conflit reposait tout bonnement sur un raisonnement économique : pour le propriétaire du terrain, il était plus rentable de vendre une grande parcelle complète située à un emplacement de premier ordre que de rénover un pavillon entouré d’un espace vacant. Le ministère de la Culture a finalement décidé qu’un symbole des années 60 n’était pas un objet de patrimoine approprié, et par conséquent indigne d’être préservé. Un des aspects notables du débat fut que le style historique éclectique du soc-réalisme qui exalta en peinture et en architecture « l’alliance des travailleurs et des paysans », fut mis dans le même sac que Supersam, construit dans un style strictement soc-moderniste.

Selon l’historien de l’art David Crowley, le terme de soc-modernisme, ou modernisme socialiste, est apparu dans la littérature spécialisée dans les années 90. Il signifie modernisme, mais exercé sous le système de contrats gouvernementaux dans les pays socialistes. D’après l’historien Łukasz Galusek qui a tenté de donner au terme une connotation neutre, cette expression idiomatique de la modernité qualifie l’architecture de l’Europe centrale et de l’Est de la deuxième moitié du xxe siècle. Crowley a également noté que « ce qui frappe dans cette vague de recherche, c’est qu’elle soit souvent menée par des gens trop jeunes pour avoir vécu une relation personnelle à la culture du socialisme tardif, et qui par conséquent n’ont aucune raison de la défendre. A bien des égards, on dirait qu’ils découvrent une terre étrange ou inconnue à l’intérieur de leur propre pays9 ». Springer incarne cette génération. L’historien de l’art Paweł Giergoń et moi-même, plus âgés, avons de nombreux souvenirs de Supersam qui datent de la dernière décennie du socialisme. Enfant, j’allais y faire des courses avec ma grand-mère. Cet immense espace, avec ses plafonds hauts et ses formes brutales, puissantes, m’a fortement marqué.

Malheureusement, depuis la transformation du système, quand le compromis entre l’opposition et le pouvoir a donné lieu aux premières élections libres en 1989, le nouveau gouvernement libéral et la majeure partie de la population ont rejeté les symboles du passé socialiste. Ils n’ont pas tenu compte des différences entre ces architectures, soulignées non seulement par les historiens de l’art tout en sautant aux yeux de toute personne un tant soit peu sensible. La société polonaise avait faim de liberté et de consommation capitaliste, elle ne faisait aucun cas de la démolition et de la destruction, ne voulant que regarder devant elle, vers l’avenir. Le préfixe « soc » a été dévalorisé, même si Crowley nous rappelle que le modernisme, dans sa manifestation socialiste, était lié à l’éthique des architectes et à leur souci de servir le bien public10. Ces modèles n’ont pas disparu en 1945 quand la Pologne, libérée par l’armée soviétique, est devenue un pays socialiste, ni en 1948-49, quand, sous la pression de Staline, le soc-réalisme fut introduit. Cette éthique s’est évaporée en 1989, après l’effondrement du système. Le message utopique, humaniste du modernisme tardif, tout comme son architecture socialement bienveillante, garantissant de bonnes conditions de vie pour tous et non pas seulement pour les élites, fut égalitaire et socialiste jusqu’à l’os.

Telle était la manière d’appréhender, parmi les architectes polonais et une grande partie du public, les constructions des années 60 et 70 : l’incarnation concrète de la modernité, accessible pour chaque citoyen de ce pays périphérique, encore dans le processus de reconstruction de l’après-guerre. Les immeubles de bureaux et le centre commercial qui ont remplacé Supersam ont été dessinés par un architecte d’exception, le professeur Stefan Kuryłowicz. Pour autant, ce projet n’a pas été guidé par une éthique démocratique, mais un simple calcul économique.

La Maison des Paysans – Dom Chlopa

Les Rechowicz sont considérés aujourd’hui comme faisant partie des plus grands créateurs de mosaïques et de fresques. Leurs ouvrages témoignent de leur style personnel. Maria Leśniakowska, historienne de l’architecture, en décrivant leurs travaux à l’hôtel Dom Chłopa (la Maison des Paysans), raconte qu’ils ont réussi à introduire des éléments d’abstraction organique et informelle dans leurs compositions11. Leurs travaux portent la marque d’un esprit de conte de fée surréaliste, mis en œuvre par Gabriel « Gaber » Rechowicz dans ses peintures et ses illustrations. Les artistes ont investi l’hôtel en 1961, invités par l’architecte principal, Bohdan Pniewski. L’idée vit le jour en 1912, quand des membres d’associations de paysans commencèrent à chercher des fonds pour construire un bâtiment qui offrirait un hébergement pratique aux paysans polonais visitant la capitale. Il n’est pas surprenant que les autorités représentant « l’alliance travailleurs-paysans » aient réalisé ce rêve cinquante ans plus tard.

Hanna Rechowicz a précisé que Pniewski « avait un problème avec les murs du patio, car le marbre qu’il avait envisagé initialement était trop cher. Il nous a invités à réfléchir à un matériau plus abordable et plus attractif. Mon mari a suggéré l’idée d’utiliser des pierres, des cailloux et des galets polis par l’érosion des rivières, si jolis et faciles à trouver qu’ils seraient en mesure de satisfaire à la fois l’architecte et le client. Les décorations murales de pierres étaient ensuite peintes pour allier la rugosité du matériel à la subtilité des fresques. Il y avait aussi quelques éléments en céramique fabriqués à l’atelier de Misiak, et d’autres mélanges encore12». Ces derniers provenaient d’une matière informe, hasardeuse, trouvée dans les déchets pour être ensuite méticuleusement combinée en un nouvel ensemble. Les mosaïques sont toujours là aujourd’hui dans l’entrée principale de l’hôtel, dans le patio et d’autres salles, même si leurs couleurs se sont fanées par l’oxydation. Elles sont désormais en partie recouvertes de matériaux contemporains : tuyauterie, plâtre ou plastique. Après 1989, les nouveaux propriétaires du bâtiment n’avaient sans doute pas trouvé l’énergie suffisante pour les détruire entièrement. Peut-être craignaient-ils des protestations comme celles qui eurent lieu après qu’ils aient tenté de détruire les mosaïques de Władysław Zych, près de l’entrée principale. Ailleurs, les œuvres du couple Rechowicz ont résisté, bien qu’un peu détériorées : à l’Ecole de l’artisanat de Varsovie (construite en 1969 et conçue par l’architecte Jerzy Gliszczyński), au petit bar « Alinka » (1969) et au centre cardiologique de Nałęczów (1972, en collaboration avec Gliszczyński).

Si on peut toujours voir ces mosaïques aujourd’hui est-ce parce que c’étaient les plus belles ? Les destructions avaient-elles été guidées par une volonté de conserver les éléments les plus importants du patrimoine de la République populaire de Pologne ? La réponse est malheureusement non. L’une des meilleures œuvres du couple, qui décorait le mur d’une piscine du club sportif Legia, réalisée en 1967, fut détruite lors de la construction d’un stade. Mais on trouve encore de nombreuses mosaïques ici ou là, car les Rechowicz étaient très populaires durant les années 60. Après 1989, on les a oubliés, et il a fallu attendre 2011 pour les voir de nouveau sous les projecteurs, lors de deux expositions13. Deux livres leur ont été consacrés : celui de Klara Czerniawska, Gaber i Pani Fantazja. Surrealizm stosowany (Gaber et Mlle Fantasme : Un surréalisme appliqué) et le mien, Mozaika. Śladami Rechowiczów (Mosaïques. Dans les traces du couple Rechowicz).

L’artiste des beaux-arts vs l’artiste visuel

Dans son introduction, Klara Czerniawska a tenté une analyse historique de la définition du terme « artiste visuel », une notion clef dans l’évaluation de l’art associé à l’architecture dans la République populaire de Pologne. Aujourd’hui, toutes les formes décoratives qui agrémentent les intérieurs ou les façades des constructions sont associées au terme « design ». Dans la Pologne post-1945, la dénomination « artiste visuel » regroupait les peintres, les sculpteurs et tous les autres lauréats d’écoles d’art spécialisées dans les « formes fonctionnelles » plutôt que dans « l’art pur ». Après 1989, il semble que cette division entre artistes et designers ait ressurgi, signifiant que les « artistes visuels » de la précédente époque étaient ramenés à un rang inférieur, philosophiquement mais aussi en termes de hiérarchie dans l’art contemporain. Voilà pourquoi les décideurs au sein des entreprises ne s’intéressent pas aux « œuvres décoratives » de Supersam, même si aujourd’hui, au même emplacement, ils font vivre de l’une des meilleures collections d’art polonais, du « Grand Art », taillé sur mesure pour un public d’élite.

Le fait qu’Alina Szapocznikow, avant de partir en France pour devenir une sculptrice de renommée internationale, ait réussi à créer une sculpture soc-réaliste toujours en place, décorant un bâtiment de la place Konstytucji à Varsovie, est aujourd’hui considéré comme une des contradictions de cette époque. Il en va de même des mosaïques op-art qui ont orné la station ferroviaire Warsaw Śródmieście en 1963, avant qu’elles ne se retrouvent aux Etats-Unis (où quelques fragments sont encore visibles). Ce sont là des exceptions notables. La plupart des créateurs de mosaïques, de fresques et de formes similaires ne fabriquaient pas de « l’art pur » destiné aux galeries et aux musées. Et même s’ils en avaient eu l’intention, l’histoire ne leur aurait offert guère plus que quelques notes en bas de page.

Gabriel « Gaber » Rechowicz, auteur inconnu, courtesy of Rechowicz Archive

Gabriel « Gaber » Rechowicz, auteur inconnu, courtesy of Rechowicz Archive.

Le livre d’Ewa Toniak, Prace rentowne (Œuvres rentables), porte un sous-titre significatif : Des artistes polonais entre l’économie et l’art au temps du dégel. L’auteur rappelle qu’après la mort de Staline, la Pologne, bien qu’officiellement toujours socialiste, a connu un « renouveau capitaliste » qui, d’un point de vue financier, fut extrêmement favorable aux artistes. L’idée de l’esthétique comme valeur sociale, à laquelle tous les travailleurs ont droit, résulte de l’émergence de nombreux artistes qui représentaient la vie quotidienne. L’Etat finançait le travail créatif, ce qui correspondait à la demande des associations d’artistes, déçues par leurs mauvaises expériences pendant la période de l’immédiat avant-guerre au sein d’un marché de l’art de taille réduite, essentiellement privé. Le rêve d’avant-garde de rendre l’art accessible aux masses s’était alors pleinement réalisé – mais sous l’œil attentif des autorités14.

L’aspect visuel du socialisme

Tout ce qui relevait de l’art visuel en Pologne était supervisé par une institution d’Etat appelé le Pracownie Sztuk Plastycznych (PSP – Département des Arts plastiques). « Cette institution d’Etat était un monopole national, chargé de toutes les commandes d’œuvres d’art destinées à l’espace public, allant des vitrines de magasins aux cahiers des charges pour les constructions monumentales. Les commandes de telles œuvres, émanant du gouvernement ou d’autres institutions d’Etat, étaient attribuées par les directeurs du PSP aux artistes membres du Syndicat des artistes visuels polonais (ZPAP). Ces commandes étaient la principale source de revenus de presque tous les artistes polonais qui, après avoir obtenu leur diplôme de l’Académie des Beaux-Arts, avaient choisi la profession d’artiste »15. Si on n’était pas affilié au ZPAP, on n’était pas formellement considéré comme un artiste, et par conséquent pas en mesure de recevoir les commandes du Département des arts plastiques. Pour être membre, il fallait être diplômé de l’Académie des Beaux-Arts, au moins en théorie. Il y avait néanmoins de nombreuses exceptions à la règle : ni le couple Rechowicz, ni leur ami, Edward Krasiński, n’étaient diplômés ; ils ont pourtant vécu grâce aux commandes du PSP pendant de nombreuses années, surtout Gaber et Hanna. Ceci était possible car l’affiliation au ZPAP pouvait dépendre de la biographie de l’artiste et de la quantité de ses travaux. Le rôle du Département des arts plastiques était de créer, imposé d’en haut, un monde moderne et attractif qui, selon les termes utilisés dans son bulletin officiel, se définissait par « l’humanisation et des couleurs […] sur les lieux de travail basés sur des recherches psychologiques, sur la théorie de la couleur et toutes les fonctionnalités du travail […]. La décoration des places publiques, des rues, des façades d’immeubles […] pour remplir la ville de couleurs […]. Le Département des arts plastiques est responsable de l’amélioration de la culture artistique au sein de la société, et de la diffusion de l’art contemporain16> ».

Grâce au Département des arts plastiques, des artistes beaucoup plus jeunes, représentant l’avant-garde des années 70, ont également pu gagner leur vie. J’ai interrogé Zofia Kulik, qui travaillait avec son mari à l’époque au sein du duo KwieKulik. Elle rappelle que les bâtiments de l’ère socialiste « étaient sales par terre et mal éclairés. Même si les mosaïques étaient jolies, elles étaient perdues dans toute cette pagaille miteuse. » Son partenaire, Przemysław Kwiek, s’est souvenu du « granito et des portes lourdes qui claquaient avec grand bruit. Les décorations étaient le contrecoup de la révolution russe. Les artistes d’avant-garde avaient dessiné une réalité plastique en créant des œuvres splendides ; malheureusement cette période a touché rapidement à sa fin. Les gens qui allaient au café étaient supposés y côtoyer de véritables œuvres d’art. Soudainement, en buvant un verre, vous regardiez une mosaïque, un peu comme les Romains ou les Grecs dans leurs anciens palais17 ».

Kulik et Kwiek appartenaient à la deuxième génération de l’avant-garde, qui voyait le rôle de l’artiste un peu différemment. Zofia et Przemysław ont fait des travaux alimentaires ou ‘pot-boiler’ – c’est ainsi qu’ils qualifient les commandes du Département des arts plastiques – mais ont poursuivi leur propre travail artistique et critique en parallèle, conscients d’être contraints par l’appareil de contrôle de l’Etat. Les Rechowicz n’ont jamais utilisé le qualificatif de ‘pot-boiler’ pour parler de leurs œuvres. Ils ont abordé toutes leurs commandes avec sérieux, et ont imprégné tous leurs travaux de leur style singulier. Gaber continuait à peindre ses images surréalistes qui n’ont jamais été exposées en Pologne avant sa mort. Ces images étaient une projection du style qui caractérisait ses architectures, elles n’ont jamais constitué un domaine séparé « d’art pur ».

L’Économie de la modernité

Ewa Toniak fournit des informations concernant la rémunération des artistes qui travaillaient pour le Département des arts plastiques. En 1959, 5,1 % des artistes qui coopéraient avec le Département gagnaient plus de trente-six-mille zloty polonais par mois18. Durant cette période, l’équipe des Rechowicz fabriquait – pour une autre commande du PSP – une mosaïque pour un café à Varsovie. Une facture existe pour ces travaux : selon l’estimation du coût préliminaire, les artistes recevaient presque trente-trois-mille zloty pour couvrir une surface de 57 mètres carrés, soit dix fois le salaire moyen. Les auteurs des mosaïques et fresques de la Maison des Paysans et de Supersam faisaient partie d’un minuscule groupe de contractuels d’élite. Dans le même temps, une génération plus jeune, dont Zofia Kulik et Przemysław Kwiek, était sans le sou. La chercheuse réputée Anna Markowska, citée par Toniak dans son livre, écrit que la rupture du dégel à la fin des années 50 n’a pas seulement façonné l’identité d’une génération, mais elle a aussi marqué une époque qui a vu les élites rejeter l’art populaire et médiocre. « Le choix du modernisme français était lié à la volonté de fournir des modèles culturels, dans l’espoir de voir se poursuivre les influences parisiennes traditionnellement importantes dans l’art polonais. Ce choix reposait par conséquent sur un rêve, et d’un autre côté, sur l’idée que fournir des modèles artistiques restait une mission de l’élite intellectuelle19. » Si tel était effectivement le cas, alors le soc-modernisme, en ce qui concerne l’architecture et les arts plastiques, n’aurait pas été un projet véritablement égalitaire, mais plutôt son imitation imposée. L’histoire politique de la Pologne est certainement liée à l’histoire de sa représentation. « Avec le renforcement de la crise économique du véritable socialisme, la Pologne a été progressivement déçue par le véritable modernisme. Comme l’architecture et l’urbanisme étaient subordonnés à l’industrie du bâtiment et à l’appareil bureaucratique, les échecs des réformes du socialisme et du modernisme étaient liés dans l’esprit de nombreux architectes polonais20. » Ces mots de Łukasz Stanek, l’auteur de Post-Modernism is Almost All Right, nous aident à comprendre pourquoi, dans les années 90, le style post-moderne, même celui des restaurants McDonald’s, était considéré comme une expression de pluralisme économique et idéologique.

Paweł Giergoń, bien que pleinement conscient des déficiences quotidiennes du socialisme avant 1989, écrit : « Les œuvres d’arts plastiques dans l’architecture de cette époque sont parmi les réalisations les plus précieuses et remarquables du précédent système politique21 . » Il est difficile de ne pas être d’accord, surtout quand il ajoute : « Avec l’effondrement du système, cet art a perdu son unique mécène fortuné. » Pour Giergoń, l’histoire des mosaïques et des fresques est « l’image de la reconstruction d’après-guerre, de la prégnance des doctrines, d’une liberté artistique parfois étonnante, associées au fait de vivre dans le flot des événements ou dans l’isolement artistique une réception presque toujours différée des nouvelles tendances de l’art international et, avant tout, la réalité bureaucratique, souvent absurde, de la République populaire22 ».

L’histoire de l’architecture et des arts plastiques nous force à modifier notre compréhension de la période 1945-1989, surtout à l’heure où les nouvelles autorités polonaises de droite essaient de repeindre systématiquement le passé dans des couleurs uniformément sombres. Pourtant, si le socialisme des années 60 et 70 était bel et bien un projet créé par les élites, du moins en ce qui concerne son aspect plastique, nous ne pouvons être surpris ni par le rejet complet et la démolition de ses artefacts, ni par l’actuelle rhétorique anti-élite des nouvelles autorités élues de façon démocratique.

 

Remerciements : Tania Press et Jean-Yves jouannais

Couverture : Mosaïques de Eugeniusz Geppert et son équipe, magasin et restaurant « Fish Central », détruit. Crédit photo : Sztuka.net/Paweł Giergoń

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