Sylvain Prunenec - Traversée transcontinentale, Danses métronomiques au marché de la viande d'Oulan Bator, août 2019. © Alliance Française
portrait

œuvre, 30 septembre 2021

Sylvain Prunenec - Traversée transcontinentale, Danses métronomiques au marché de la viande d'Oulan Bator, août 2019. © Alliance Française

48e parallèle, chorégraphies pour longues distances Entretien avec Sylvain Prunenec

Entretien par Patricia Brignone

Sommaire

Le 26 mars 2021 a eu lieu un événement rare : la restitution par le chorégraphe Sylvain Prunenec d’une traversée de 5 mois, qui l’a conduit de la pointe du Raz à l’île de Sakhaline en Russie extrême-orientale. Une traversée effectuée le long du 48e parallèle, selon tous les modes de transport possibles : à pied, en bateau, en avion et au long d’interminables chemins de fer. Imaginée comme un spectacle total, où se conjuguent corps en présence, sons, voix, mouvements, images, la proposition artistique qui en résulte a pour titre éloquent 48e parallèle, chorégraphies pour longues distances. Conçue avec la collaboration de Sophie Laly pour le travail vidéo et Ryan Kernoa pour la création sonore, elle opère de façon aussi vertigineuse que le projet qui l’a vu naître.

Patricia Brignone : Plus qu’une simple chorégraphie, 48e parallèle tient aussi bien du récit dansé, bougé que d’une expérience de vie, qui réunit diverses formes et médiums. Peux-tu revenir sur la genèse de ce projet, que l’on devine motivé par la nécessité de s’engager dans un nouveau type d’écriture chorégraphique ?

Sylvain Prunenec : Au départ, il y a deux désirs qui n’ont pas forcément grand-chose à voir entre eux, mais qui, dans le cadre de ce projet de traversées, vont devenir complémentaires : le désir de marcher et de passer du temps dans la nature, et celui d’aller présenter sur des places publiques ce que j’ai appelé les Danses métronomiques. Les marches dans la nature sont une pratique plutôt solitaire, alors que la danse est considérée ici comme un moyen d’entrer en contact avec les autres, les passants, les habitants. Les marches se déploient sur des temps et des espaces longs (5 à 6 heures par jour, 20 à 30 km par jour), le mouvement varie peu et l’effort est assez régulier. Même s’il y a des variations d’intensité (dans les ascensions, par exemple), ces variations sont rarement soudaines. Les danses, au contraire, concentrent l’activité du corps sur un temps court (une trentaine de minutes) ; les mouvements sont beaucoup plus diversifiés et les rythmes, plus contrastés. Ce qui constitue la chorégraphie dans ce projet, ce sont autant les danses que le chemin parcouru pour aller d’un lieu de présentation à un autre.

PB : Il faut préciser que tu avais au préalable une certaine expérience de la marche, mais celle-ci n’était pas inscrite à l’échelle d’un tel projet, ni avec les mêmes implications.

Sylvain Prunenec - Traversée transcontinentale - Improvisation au Palud de Tréguennec (Finistère), avril 2019. © Sophie Laly

Sylvain Prunenec – Traversée transcontinentale – Improvisation au Palud de Tréguennec (Finistère), avril 2019. © Sophie Laly

SP : Dès les premières traversées effectuées en 2018 (les Monts d’Ardèche, la Bretagne, puis d’Orléans à Colmar), j’ai aimé cette alternance entre moments de solitude et temps de rencontres, et entre ces deux types d’engagement du corps. Au moment de la représentation des danses, il y a une concentration extrême de l’attention à ce que mon activité produit dans l’environnement public, ou plutôt à la manière dont celle-ci rencontre les autres activités présentes dans le lieu (des enfants qui jouent, des gens qui flânent, qui lisent ou qui rentrent du travail). À l’inverse, dans la marche, mon esprit se dissipe, il digresse sans cesse. Passant d’une sensation physique momentanée à la surprise d’un élément extérieur (une lumière, un son, un végétal, une pluie) et de souvenirs qui ressurgissent à des projections mentales, parfois totalement fantasmagoriques. ; l’esprit en roue libre. Le grand brassage dans lequel se préparent, plus ou moins consciemment, des connections improbables qui permettront peut-être à des pensées d’émerger, de se déployer, de s’articuler.

PB : Comment opère cette imprégnation du paysage et le travail de restitution, qu’il soit de l’ordre du geste ou de toute autre nature ? Je pense entre autres à cette séquence où tu livres un combat contre une horde sauvage de moustiques, devenus de terribles adversaires…

SP : Au cours de la traversée transcontinentale, cette sensation de dissipation du corps et de la pensée a pris une tournure un peu différente, se concentrant davantage sur les éléments naturels des espaces traversés. À partir de la Slovaquie, la présence abondante des insectes, et celle de l’eau (lac, rivières, fleuves…) m’ont particulièrement marqué et inspiré. J’ai aussi davantage marché hors des sentiers, grimpé des pentes abruptes, me faufilant à travers les fourrés. Je me fondais dans la nature que je traversais, je m’y dissipais, le corps gorgé de sensations. C’est à partir de ce moment-là que quelque chose s’est modifié dans mon rapport à la nature : non plus seulement comprendre comment je la regardais, mais comment elle, elle me regardait. Faisant partie du règne animal, je suis soit un potentiel prédateur (une biche, alertée par le bruit de mes pas s’enfuit, s’arrête, me regarde de loin, avant de disparaître dans les herbes hautes), soit une proie. Le monde végétal et le minéral, eux, me regardent avec indifférence. Pourtant, ils me regardent, ça me regarde.

L’attaque des moustiques et l’encerclement par un escadron de grosses mouches, auxquels tu fais allusion, ont eu lieu dans une forêt, près de Samara en Russie, sur les bords de la Volga. J’ai voulu relater cette expérience parce qu’elle mettait en jeu la manière dont parfois nous sommes perçus par la nature, comme je l’ai dit, et ressenti. Ici, en l’occurrence, comme une proie : un corps chaud dont on peut tirer du sang. Ou un corps évalué, analysé, scanné pour savoir si on peut s’en nourrir, y pondre des œufs ? Se sentir atomisé par le regard d’une mouche, c’est aussi une expérience de la dispersion du corps, de sa dissipation.

Sophie Laly, Astrakhan

Sylvain Prunenec – Traversée transcontinentale – Astrakhan, 2019. © Sophie Laly

PB : Cette expérience intense de faire corps avec la nature que tu exprimes physiquement sur scène appelle aussi une réflexion d’ordre peut-être plus philosophique, quant à la situation de l’être tout entier immergé dans un contexte naturel changeant, voire à une transcription des états traversés. Ainsi, à la marche et la danse est venu s’adjoindre un autre médium lié à l’envie de mettre en mots cette expérience.

SP : En plus de ces deux activités (les marches dans la nature, les danses sur les places publiques), il y a eu en effet celle de l’écriture. Au début, il s’agissait juste de consigner par écrit des événements, des sensations, des pensées surgis au cours des journées qui venaient de s’écouler. Progressivement, puis après mon retour, cette activité a pris davantage de place, elle est devenue aussi essentielle que danser ou marcher.

Il m’a très vite semblé que je pouvais faire le récit de certains événements – qui en eux-mêmes ne sont pas extraordinaires – mais qui pouvaient rendre compte de cette dissipation du corps dont j’ai parlé et de la surprise de se sentir regardé par la nature.

Avant de partir, j’avais commencé à prendre des cours de russe dans l’idée d’avoir quelques rudiments. Le russe est une langue à déclinaisons qui m’a demandé beaucoup d’efforts pour l’aborder. Il faut retrouver de la plasticité intellectuelle et psychique. Sur place, des moments d’incompréhension ou de malentendu, donnant lieu à des situations plutôt cocasses, sont bien sûr arrivés. La frustration de ne pouvoir discuter un peu subtilement avec certaines personnes, mais aussi l’immense plaisir de pouvoir échanger quelques mots et surtout d’être baigné dans la musicalité de cette langue, ont sans doute participé à rendre ce besoin d’écrire plus vif.

PB : Je voudrais revenir au projet lui-même. Tu n’as pas toujours été seul au cours de ce voyage. Tu t’es adjoint par intermittence le compagnonnage amical et artistique de deux personnes à l’apport essentiel quant à la forme finale et performative, qui m’a fait parler d’art total.

SP : Sophie Laly (vidéaste) a été avec moi au tout début de la traversée, dans le Finistère sud, puis m’a rejoint entre Odessa et Astrakhan (via la mer Noire, la Géorgie, l’Azerbaïdjan), puis entre Khabarovsk (en Sibérie) et Sakhaline. À chaque fois, nous cherchions un lieu de nature où filmer des marches ou des improvisations dansées. En Bretagne sud, je l’ai emmenée au palud de Tréguennec dans la baie d’Audierne. Un ancien site de concassage de galets lui a permis de poser sa caméra sur un promontoire. À ses pieds le palud, en grande partie asséché, au loin les dunes, puis l’océan. C’est en cherchant le cadrage pour filmer des marches et des danses qu’elle s’est rendu compte qu’en ne filmant ni les dunes, ni la mer, ni le ciel, elle visualisait déjà les steppes russes ou mongoles que j’allais fouler plus tard. En ôtant toute référence géographique spécifique à un territoire ; en troublant les rapports d’échelle ; en jouant l’apparition ou la disparition du corps dans le paysage ; en utilisant des plans longs de plusieurs minutes, Sophie laisse entrevoir l’immensité du continent, le temps long de sa traversée, et peut-être le caractère presque absurde de ce déplacement entrepris par un être minuscule à l’échelle de ce territoire démesuré qu’est le continent eurasien.

Quant à Ryan Kernoa, il nous a rejoints à Sakhaline, à la fin du voyage, puis m’a accompagné sur le chemin du retour, en passant par Vladivostok et Moscou. Il a capté des sons de types assez divers : des ambiances de nature ou urbaines, l’envol d’un pigeon, une danse sur des graviers, des jingles publicitaires… Ryan est musicien et compositeur, tout en s’occupant de la production et du développement des projets de l’Association du 48 depuis plusieurs années. Ce projet était l’occasion de déplacer l’endroit de notre collaboration, en lui confiant la création sonore et musicale du projet. Projet dont il était proche pour m’avoir soutenu au moment de sa conception et de sa préparation.

PB : Comment décide-t-on de rompre avec un cadre de danse « normé » et ses lieux de monstration établis, pour se lancer dans une telle entreprise ? Tu as évoqué la danse comme « moyen pour entrer en contact avec ses habitants ». J’aimerais que tu explicites ce désir qui en a été le moteur et tes motivations. Cela, il faut le préciser, avant le grand chamboulement provoqué dans nos vies par la pandémie du Covid 19 et ses effets sur notre façon de penser.

SP : Il y a, au départ, une déception : une pièce pour le plateau créée à l’Atelier de Paris en 2017, intitulée Zugunruhe, état d’agitation avant la migration, un duo avec Tatiana Julien, aux très bons retours, mais qui ne tourne pas. Comme son titre l’indique, elle traite déjà du déplacement, autant géographique que mental ou psychique. Je sens alors une nécessité, à ce moment-là, d’interroger ma place au sein du milieu chorégraphique et plus largement, à tous les endroits de ma pratique : la production, la diffusion, le rapport au public, à l’espace scénique, à la préparation physique, etc. Et je dois le faire sans contrainte, le plus libre possible. Ce n’est donc pas juste ma pratique que je mets en jeu, c’est ma place d’homme dans ce monde, au travers de la danse.

Je décide donc de m’immerger dans l’espace public, pour voir si mes danses me permettent de rentrer en contact avec des gens, si ma présence va intéresser des personnes ou pas. Je travaille mes danses chez moi, dans mon salon, je n’ai pas besoin de beaucoup d’espace et je pourrai sans doute les déplier si j’en ai envie une fois à l’air libre. Deux métronomes m’accompagnent qui constituent l’élément musical et scénographique de ma performance.

Dans un second temps, vient l’idée de concilier ces deux désirs dont j’ai parlé au début : marcher dans la nature et danser sur des places publiques.

Je profite d’une invitation du CND de Lyon à donner une série d’ateliers pour caler la première traversée des monts d’Ardèche, d’Aubenas jusqu’à Saint-Étienne (où je savais pouvoir être accueilli). Je trace une verticale sur la carte entre les deux villes. Plus tard, je tracerai une oblique entre Saint-Brieuc et le Finistère sud, puis l’horizontale le long du 48e parallèle. Les trajets se feront en lignes droites, courbes ou brisées, par contournements et dérives, suivant de près ou de loin la ligne guide.
Je continue mon travail d’interprète auprès de plusieurs chorégraphes et entre ces périodes de travail avec eux, je me consacre à ce projet de traversées. Je lis, j’étudie des cartes topographiques… Je pars avec mon sac-à-dos, je marche et je danse. Je suis libre de choisir les trajets, les lieux, les périodes et les moments.

PB : Ton intention de déplacer le travail avec ce projet-ci allait aussi de pair avec ton aspiration à réinventer une forme de danse offerte en partage aux personnes croisées dans les lieux publics, lors de tes étapes de voyage. Mettre la danse à l’épreuve de la vie est une idée qui t’est chère, par-delà les frontières et nos codes, aussi bien culturels que sociaux.

SP : Oui, car immanquablement des choses se passent : des regards, des sourires, des gens s’arrêtent, repartent ou restent, on discute. Des enfants jouent au ballon à l’autre bout de la place, le ballon dévie, l’action dérive, les footballeurs m’encerclent puis repartent. Un danseur de hip hop vient danser avec moi (nous improvisons ensemble une quinzaine de minutes). Une autre fois, je transmets une de mes danses… Parfois, rien, ou presque rien, parfois on m’ignore ostensiblement.
J’ai moins peur d’y aller lorsque je suis accompagné, même par une personne que je ne connais pas, rencontrée par l’intermédiaire de l’Alliance Française, par exemple.

Je ne sais pas bien ce qui fait le plus peur. L’échec, que ça n’intéresse personne ? Le fait de ne pas se sentir légitime à occuper à soi seul 30 mètres carrés d’espace public ? De paraître présomptueux, ou encombrant ?

Il faut arrêter de se poser des questions et il faut y aller. Et le plus petit encouragement permet de continuer. Trois policiers m’interrompent à Samara, Russie. Ils me demandent mon passeport, me demandent ce que je fais là. L’un parle anglais. Je raconte le projet, le voyage. Ils m’écoutent, me rendent mon passeport, me souhaitent bonne route, m’encouragent. Ils trouvent le projet formidable. C’est la première fois que je fais l’objet d’un contrôle d’identité dans un moment de pratique de mon art.

À Saint-Étienne, je vois arriver de loin un homme. Il tient par la main une petite fille, c’est la sortie de l’école. Il vient jusqu’à moi, m’interrompt. Il me dit : « C’est formidable ce que vous faites, de danser ici, sur cette place. Vous êtes d’où ? » On discute une minute et il repart, poursuit son trajet. Je reprends ma danse. C’est peut-être ça aussi être spectateur : voir quelqu’un danser une minute, juste le temps de traverser une place, de se réjouir que le danseur continue, même si on n’est plus là pour le voir. Comme s’il suffisait au fond de réveiller, dans l’esprit, cette potentialité de la présence d’un geste de poésie dans la vie quotidienne.

Il n’y a pas de chapeau, je ne fais pas ça pour quémander de l’argent. La quête est ailleurs. Juste pour comprendre si des danses peuvent être un moyen d’entrer en contact avec d’autres humains, dans un contexte familier, quotidien, là où l’on ne s’y attend pas.

Je n’ai dansé ni pour les étoiles, ni pour la lune, ni pour une colonie d’épilobes. Je n’ai pas pu, pas su, pas voulu danser autrement que sous le regard d’un individu de mon espèce.

PB : La mise en récit plurisensorielle, aussi bien en gestes, en voix, augmentée par la puissance des images de Sophie Laly et de l’univers sonore de Ryan rend particulièrement prégnant ce travail du corps imbriqué à une forme nourrie d’imaginaire ; où d’ailleurs la fiction s’invite, comme lors de ce moment de bascule où l’on s’y attend le moins (je songe à l’épisode de la poursuite de l’ours, qui te contraint à te réfugier dans une cabane où tu découvres, et le spectateur avec toi, une cohorte de personnages insolites…).

SP : Le rapport à la littérature s’est trouvé alimenté de diverses manières. A un moment de mon parcours, j’avais échangé, à l’Alliance française de Samara, un livre que j’avais fini de lire contre un autre, celui de Vassili Grossman : Pour une juste cause qui raconte la bataille de Stalingrad en 1942. Je venais de quitter Volgograd (anciennement Stalingrad) et j’avais été assez bouleversé par la visite du Mamayev Kurgan, le mémorial commémorant cette bataille et ses 800 000 morts.

Sylvain Prunenec - 48ème parallèle, représentation au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, mars 2021. © Marc Domage

Sylvain Prunenec – 48e parallèle, représentation au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, mars 2021. © Marc Domage

Plus tard, lorsque j’ai commencé à écrire les textes du spectacle, je me suis inspiré de certains passages de ce livre (une bataille aérienne entre les chasseurs nazis et des aviateurs soviétiques) pour le récit de l’attaque des moustiques. De même, la descente au fleuve, ainsi que l’épisode des pieds meurtris réconfortés par l’eau fraiche (en réalité ceux des combattants) sont inspirés d’un court passage de ce livre. En insérant par petites touches des éléments textuels provenant de lectures d’auteurs russes, j’incluais dans notre travail de restitution de ce voyage cette dimension littéraire russe qui m’a beaucoup intéressé et nourri ces dernières années. Mais aussi, cela me permettait d’y intégrer des éléments de fiction, comme ce dernier texte « En rêve », inspiré du rêve de Tatiana, l’héroïne du roman en vers Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine. Tatiana rêve qu’elle marche dans une prairie couverte de neige, puis est surprise par un ours, et finit par trouver refuge dans une cabane perdue dans la forêt dans laquelle des êtres fantasmagoriques font la fête. La neige, l’ours sont restés des fantasmes pour moi puisque je suis rentré en France avant les premières chutes de neige et que je n’ai (heureusement ?) pas croisé l’ours au cours de mes escapades dans la nature. L’assemblée convoquée dans la cabane me permet d’évoquer les rencontres que j’ai faites au cours du voyage. Certaines figures sont fictives et appartiennent à l’univers des contes russes, d’autres sont des personnes réelles que j’ai vraiment rencontrées à un moment ou l’autre de cette traversée.

Sylvain Prunenec - 48ème parallèle, représentation au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, mars 2021. © Marc Domage2

Sylvain Prunenec – 48e parallèle, représentation au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, mars 2021. © Marc Domage

PB : De manière étonnante pour un chorégraphe, tu vas jusqu’à nous immerger dans une forme de poésie sonore perceptible par le ton, le rythme des mots, avec toute une énonciation de noms propres scandant la traversée, égrenant des noms de lieux, de territoires, de cours d’eau de différences provenances et langues. On a là une forme de récit pleine de nuances, qui intensifie le travail de la gestuelle par une sorte de profération, laquelle n’est pas sans rappeler une certaine proximité avec le champ de la poésie sonore, et sa capacité à faire résonner le corps.

SP : Les noms de lieux, mais aussi de fleuves ont toujours eu quelque chose d’inspirant. Je me souviens que lors de ma traversée antérieure d’Orléans à Colmar, par Lure, j’avais consigné dans un court texte cette alternance d’un paysage de rivière à celui d’un ruisseau. Entre ces trois villes se situe une ligne de partage des eaux.

Sylvain Prunenec - 48ème parallèle, représentation au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, mars 2021. © Marc Domage3

Sylvain Prunenec – 48e parallèle, représentation au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, mars 2021. © Marc Domage

Cela me réjouissait de savoir que certaines eaux se déverseraient plus tard dans la Manche, d’autres en Méditerranée, d’autres encore en mer du Nord. Lorsque nous sommes revenus du voyage transcontinental, Sophie m’a proposé d’écrire sur ce mode un texte qui relaterait cette grande traversée. C’est le texte « Itinéraire fluvial » présent dans le spectacle. Parler des fleuves (en Russie, ils sont immenses et ressemblent parfois à des bras de mer), c’est parler de territoires en mouvement, traversés, inondés, nourris par les flux d‘eau douce, comme un corps est irrigué par les flux de l’air, du sang, des pensées. C’est aussi un lointain (la source, l’embouchure) accessible au moins en rêve, sinon en s’y laissant immerger ou en remontant à contre-courant. Ce sont des noms qui parfois ont du sens, ou plusieurs sens, ou un sens oublié. Ce sont des sonorités et des rythmes.
Ce travail sur les textes (toujours lié à la façon dont ils pouvaient être dits sur scène) m’a beaucoup plu parce qu’il m’a placé à un autre endroit que celui de la danse tout en y étant intimement raccordé. C’est en les travaillant au sein de la forme globale que ces textes ont, peu à peu, trouvé leurs rythmes et leurs durées.

Depuis que j’ai commencé à imaginer des pièces (à la fin des années 90), le texte s’est régulièrement invité dans le travail. Tout d’abord avec Célia Houdart ; ensuite avec Mathieu Riboulet dans le cadre du festival Concordan(s)e en Île-de-France ; plus récemment avec Anne-James Chaton, poète sonore. Toutes ces collaborations m’ont beaucoup intéressé et m’ont fortement inspiré. Cette fois-ci, et le déplacement géographique me semble y être pour quelque chose, je me suis autorisé à travailler la matière textuelle moi-même, aidé par Sophie et Ryan qui, au-delà de leur pratique respective, m’ont guidé, stimulé et fait avancer vers cette présence scénique où le geste, la danse, la parole, la poésie se côtoient, se répondent, et s’articulent à l’environnement musical et aux images.

En couverture : Sylvain Prunenec, Traversée transcontinentale, Danses métronomiques au marché de la viande d’Oulan Bator, août 2019. © Alliance Française 

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