ForTune plateau radio
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ForTune, radiographie de l’art en monde du travail

Entretien par Estelle Nabeyrat et Eva Barto

Sommaire

Apparue à la fin de l’année 2018, ForTune est une émission radio proposée régulièrement sur *DUUU Radio par Eva Barto et Estelle Nabeyrat. Son format ? Considérer la sphère artistique en tant que monde du travail. Avec exigence éditoriale et fluidité de la parole, les deux animatrices, elles-mêmes respectivement artiste et curatrice, y abordent les conditions très souvent précaires de la majorité de toutes celles et de ceux qui œuvrent dans l’art. Toutes les expériences sont confrontées et l’écoute de ForTune s’avère plus que nécessaire en cette période de crise.

Switch (on Paper) : Comment avez-vous imaginé ForTune et quelle est l’origine de son nom ?

Estelle Nabeyrat : ForTune est née d’une volonté hasardeuse. Nous souhaitions créer un espace de débat et de mobilisation dédié aux conditions de travail dans le milieu de l’art. Un ami commun nous a présentées et très vite, la confiance s’est instaurée entre nous. Nous avions déjà collaboré avec la webradio *DUUU et son équipe a tout de suite accueilli favorablement le projet. ForTune s’est imposée comme une évidence partagée, celle d’explorer les coulisses des systèmes de représentation. Nous voulions contribuer à une prise de conscience élargie du milieu artistique dont l’engagement dépasse la seule condition de l’œuvre ou de l’exposition.

Le titre illustre en un sens cette conjonction. Bien sûr ForTune s’amuse des conventions linguistiques qui dominent dans le champ de l’art : en anglais, Fortune a la même signification qu’en français, qui renvoie à l’argent mais aussi à la chance et” Tune” signifie “air”, “mélodie”, un mot très radiophonique. Pour l’anecdote, le choix de ce titre est aussi lié à l’exposition de Dorothea Lange qui se tenait au Jeu de Paume au moment de la première émission, en décembre 2018. La photographe américaine réalisa en 1947 une série de photos sur les travailleurs et travailleuses des chantiers navals pour le magazine économique Fortune. Derrière le faste et la prospérité des années d’après guerre, ses photos dépeignaient une tout autre réalité. Le fait qu’une telle commande ait été financée par un magazine (créé durant la période de la Grande Dépression) destiné à de puissants hommes d’affaires est exactement le genre de paradoxe qu’il nous intéresse de critiquer. On imaginait un espace dans lequel il serait possible de déconstruire les contradictions telles que la publication d’un reportage sur la condition déplorable des travailleurs.euses de certaines grandes industries réalisé par et pour ceux-là mêmes qui organisent cette condition.

Switch (on Paper) : Y avait-il une urgence ? Vous parlez dans votre premier édito du 29 décembre 2018 d’une « liberté de parole », parole qui doit se libérer notamment de toutes sortes de pressions parfois qualifiées « d’indignes ». Le mot vulnérabilité revient souvent.

Estelle Nabeyrat : ForTune s’est imposée comme une nécessité. Le mécontentement généralisé du milieu artistique a généré beaucoup d’initiatives depuis ces 2 dernières années avec des modalités et des formats différents (Documentation.art, La coupure, les collectifs Décoloniser les arts, Art en grève, La Buse…). Cette quantité d’organisations traduit un besoin impérieux pour les travailleurs.euses de l’art de faire connaître les difficultés auxquelles ils et elles font face. Il y a un sentiment de colère partagé face à des injustices systémiques. Le milieu est socialement clivé, l’ascension sociale reste compliquée malgré un niveau d’éducation général élevé. Les salaires reflètent rarement le niveau d’expérience. Les cadres légaux offrent peu de recours, les abus profitent des situations d’isolement. On voit souvent une double peine peser sur les professionnel.le.s de l’art : celles et ceux qui œuvrent à introduire plus d’éthique subissent souvent les contrecoups de leur engagement. Il n’est pas rare que les déclarations publiques de victimes ou de témoins soient suivies en retour d’accusations par les personnes visées, de blacklisting par les cercles qui protègent les accusé.e.s. Nous invitons par conséquent nos intervenant.e.s à la prudence. Même si nous ne sommes pas neutres, nous préférons parler des contextes plus que des personnes pour ne pas exposer les invité.e.s. En revanche, ForTune se positionne clairement comme un outil de partage, de compréhension et de décryptage. Elle est ancrée dans la pensée féministe et décoloniale.

Eva Barto : Nous avons eu à cœur de rendre visible la réalité du milieu, en abordant des sujets parfois complexes et controversés, qui suscitent des débats pendant et parfois après les émissions. Notre position se voulant neutre pour permettre ces échanges, il est clair que certaines injustices dont nous sommes tou.te.s témoins et parfois complices malgré nous, nous ont poussées à être peut-être plus transparentes sur nos positions au fil des émissions.

Switch (on Paper) : Le fil directeur de ForTune est le travail. C’est une notion très complexe dont la perception peut varier selon les pays, les époques ou les modèles idéologiques. Comment l’avez-vous abordée initialement et a-t-elle évolué depuis ?

Estelle Nabeyrat : Ne pas considérer le milieu artistique comme un milieu professionnel et ses activités comme le fruit d’un travail est la voie ouverte aux abus. Le travail gratuit est légion dans notre milieu, il précarise et infantilise les travailleurs.euses de l’art. La passion et la visibilité ne compensent pas les faibles revenus. Cette mythologie touche à sa fin et nous espérons y contribuer. Dans un contexte ultra-libéral, les représentants de W.A.G.E.S aux États-Unis ont réussi un tour de force inégalé allant jusqu’à faire signer aux institutions des chartes de bon comportement.
Il y a eu et il y a en effet des réponses idéologiques différentes à cet état de fait selon les contextes et les époques, mais on perçoit à plusieurs endroits du monde une volonté forte de reconnaissance du travail artistique en tant que tel. Beaucoup d’organisations émergent notamment avec la crise sanitaire actuelle. Désormais, troquer son revenu contre un peu de romantisme n’est plus considéré comme une situation équitable.

Eva Barto : Il est intéressant de voir qu’aujourd’hui encore certain.es artistes sont malheureusement les premier.es à refuser le statut de travailleur.euse au motif qu’il empêche toute forme de liberté de création. Ce mythe maintient l’artiste hors des réalités du monde du travail et limite la convergence vers tout un pan de la société en lutte. Il est donc nécessaire d’utiliser ce terme, de le redéfinir, et d’analyser ce qui en découle. Bien entendu, après chaque émission, nous ressortons avec des visions différentes mais parfois complémentaires. Je pense notamment à la première émission qui faisait cohabiter la lecture du texte de Julie Portier “Passion Travail Passion” (publié dans La Belle Revue) avec des prises de parole sur la nécessité d’un salaire pour les travailleur.euses de l’art. La crise que nous traversons permet une réelle prise de conscience dans le milieu car elle fragilise tout.es ses acteur.trices. Il faut alors s’en servir comme levier et continuer de mettre le travail en débat, car il est certain que ces nouvelles urgences vont impacter cette notion d’une toute autre manière…

Switch (on Paper) : Vous avez choisi le format radio avec *DUUU Radio via des émissions assez longues (entre 2h51 et 4h26). C’est assez rare et plutôt courageux dans un monde médiatique généralement enclin à des formats courts.

Estelle Nabeyrat : Les retours sont variés mais généralement positifs. Les podcast permettent à chacun d’écouter à son rythme. De notre côté, il nous semblait évident de laisser la place aux débats. Se contraindre à un format journalistique ne fait aucun sens d’autant que DUUU ne nous impose aucune grille. Les émissions en studio sont parfois très longues et nous sortons épuisées comme après un marathon, mais ce temps accordé nous paraît nécessaire et bénéfique.

Eva Barto : Il est aussi important de ne pas se plier à cette constante demande de fournir des contenus rapides et efficaces. Le monde de l’art veut aller vite et esquive les questions primordiales. C’est ainsi pour nous une mission que de laisser le temps à nos invité.es pour réellement se confronter à ces problématiques.

Switch (on Paper) : Comme vous le signalez Eva dans l’une de vos interventions, les différences de statut entre les travailleurs et travailleuses du monde de l’art sont évidentes, sans parler des niveaux de vie. Comment arrivez-vous à asseoir tout le monde autour d’une même table ?

Eva Barto : On le voit dans des mouvements comme Art en grève par exemple, la lutte commence à réunir de nombreux.ses travailleur.euses de l’art, ce qui est très stimulant, mais les revendications ne peuvent être les mêmes pour les intermittent.es, curateur.trices, artistes… C’est en effet une réalité, et il est important de pouvoir considérer et clarifier toutes ces différences de statuts. Nous pensons qu’il est important de laisser s’exprimer la mixité de ce milieu, notamment pour tirer des leçons sur ce qu’il faut perpétuer ou changer.

ForTune a été également pensée pour les étudiant.es, afin qu’iels puissent avoir un éclairage sur la réalité qu’iels vont rencontrer, et qu’iels puissent s’armer en conséquence. À la lumière de certaines interventions, on apprend que les étudiant.es ont aussi des droits, et qu’iels peuvent les faire valoir ! De la même manière, inviter ou parler des intermittent.es, permet d’aborder le statut de l’artiste et de considérer l’assurance chômage comme une opportunité pour les artistes qui n’en bénéficient pas encore.

Estelle Nabeyrat : Oui, et puis lorsque tout le monde est “assis autour d’une même table”, personne ne défend le travail gratuit, les rémunérations au lance-pierre, les abus sur les droits d’auteur etc. Cette réalité est indéfendable. Lorsque ces personnes sont réunies au studio, nous témoignons ensemble et publiquement d’un état de fait. Difficile ne pas être mobilisé.e.s contre ce triste constat.

Switch (on Paper) : Vos émissions sont des tribunes mais aussi des espaces – sortes de revues – où l’on peut découvrir des textes d’auteur.e.s ou des initiatives culturelles très varié.e.s. Comment se construit cet enchevêtrement éditorial ?

Estelle Nabeyrat : L’émission regroupe chaque fois différents registres de paroles et nous tenons à cette diversité. Nous agissons comme le porte-voix d’une multitude déjà active et polymorphe. Des objets critiques se rencontrent en risquant les confrontations et les impasses. Mais ces zones de conflits nous semblent être des zones d’interaction constructives.
Nous nous laissons également la liberté d’adapter le format en fonction des sujets et des contextes dans lesquels nous avons parfois été invitées (les ateliers de consultation du Sodavi).
Dès le début, nous avons tenu à cette mixité avec différentes rubriques, mais selon une structure fluide plus que stricte : point sur l’actualité, présentation de travaux, débats, lectures de textes de tout genre. La musique vient en résonance. Tout cela nécessite un vrai travail de prospection et de préparation.

Eva Barto : Il est clair que ces émissions nous imposent un travail de recherche conséquent, ainsi qu’une prudence sur la véracité des faits que nous transmettons, c’est pourquoi nous prenons plusieurs mois pour les réaliser. Les sujets étant parfois lourds et complexes à produire, car nous tentons d’aller chercher les spécialistes des sujets que nous abordons, il nous paraît important de proposer des formats plus libres, sous forme de série de témoignages par exemple (#ForTune en confinement ou d’autres à venir).

ForTune plateau, La Villette

ForTune aux étudiant.e.s : Mathilde Dantec et Jean-Serge Sahll lisent un dialogue rédigé depuis l’Ecole Nationale Supérieure d’art de Dijon. De gauche à droite : Mathilde Dantec, Estelle Nabeyrat, Jean-Serge Sahll. Studio *DUUU – La Villette, Paris. réalisation : Gaspard Collin, mars 2019

Switch (on Paper) : Vote seconde émission était consacrée aux écoles d’art. On assiste dans ces dernières à des remises en cause de modes de gouvernance, à la mise en place de chartes d‘éthique ou à des luttes contre les discriminations. Peut-on estimer que ces luttes, aujourd’hui très vivaces au sein de l’enseignement, vont dans les années à venir bouleverser – par effet de ricochet – les systèmes de l’art ? Et notamment conduire à une modification sensible du monde professionnel ?

Eva Barto : Il est certain que les mouvements comme MeToo ont eu un impact significatif dans les écoles d’art, et que certains tabous commencent à être levés. Les rapports de dominations sont contestés, plus ou moins adroitement, mais ont le mérite d’être mis sur la table. Difficile de faire une estimation, mais l’engagement des étudiant.e.s est déterminant pour l’avenir de nos statuts et c’est pour cela qu’il faut créer les conditions pour qu’iels déconstruisent leurs mythes et se battent pour leurs droits.

La visibilité est clairement un enjeu à la sortie de l’école, il est donc difficile pour les étudiant.es d’être critiques envers les rares opportunités qui s’offrent à elleux. L’individualisme a tendance à l’emporter depuis des décennies mais les mouvements actuels prouvent que, s’iels s’unissent, la donne peut changer.

Estelle Nabeyrat : Les conséquences en sont déjà palpables. Il y a de plus en plus d’actions au sein de formats d’expositions dédiées à la jeune création. Ce que l’on a pu constater avec cette émission spéciale étudiant.e.s, c’est que partout en France, dans les écoles d’art comme dans les universités, il y a beaucoup de militantisme. Des artistes en devenir, de futur.e.s professionnels.les qui ont le désir d’exister dans un environnement de travail plus juste, plus ouvert, plus inclusif. Tout comme leurs prédécesseurs et prédécesseuses, iels se demandent en toute légitimité comment survivre à l’après-école. Les intervenant.e.s ont témoigné d’une grande capacité à agir sur l’environnement structurel dont iels sont partie prenante. Je suis sortie de cette émission avec beaucoup d’optimisme, c’était comme se sentir à l’aube d’une nouvelle ère.

Switch (on Paper) : Lors d’une autre émission (pour les besoins d’un Sodavi) vous avez collecté des préconisations pour améliorer les conditions de travail dans l’art. Qu’en retenez-vous exactement ?

Eva Barto : Nous avons accepté de couvrir le SODAVI dans l’objectif de faire écho aux initiatives menées pour la revalorisation des conditions des travailleur.euse de l’art, et dans ce cas précis celles des artistes (il est à noter que les commissaires et critiques jouissent de moins de considération encore). Nous avons couvert deux ateliers dont la restitution, et dès la première émission, nous avons soulevé la question des résolutions concrètes, et de l’après SODAVI. Même si cette initiative a permis aux langues de se délier, à des idées fortes d’émerger et de se faire entendre, nous avons pu regretter – et c’est ce que nous avons laissé paraître lors de la restitution – que les artistes étaient minoritaires et peu entendus, et que l’ensemble de cet appareillage médiatique n’aboutira pas à des changements profonds. Nous saluons l’initiative, mais la solution se trouve ailleurs.

Estelle Nabeyrat : Il y avait beaucoup d’enthousiasme de la part des participant.e.s et des organisateurs.trices durant les ateliers. On sentait une mobilisation générale autour du désir d’améliorer les conditions de travail. Au fond, beaucoup savaient déjà que les instants de partage, de mise en commun seraient la clé de ce dispositif.

Switch (on Paper) : Pensez-vous que la multiplication des fondations privées est un leurre qui ne fait que cacher la désertion des systèmes publics et qu’au fond, elles n’inventent rien si ce n’est une façon de valoriser des artistes lié.e.s à des systèmes marchands bien rodés, avec un appareil critique réduit à néant ?

Estelle Nabeyrat : Je pense que nous avons des avis différents sur la question. Personnellement je suis pour un soutien plus vaste et plus constant du système public. Mais il faut aussi reconnaître que l’entrée de nouveaux acteurs ou actrices a permis de rebattre certaines cartes en créant aussi des opportunités d’emplois. Il faut bien évidemment faire une critique de fond des fondations qui sont parfois déconnectées des aspects sociaux du milieu et du contexte à partir desquels elles travaillent. Pour autant, le secteur public n’est pas exemplaire : emplois précaires, cooptation, abus de pouvoir… j’espère que cette époque sera bientôt révolue. On observe de plus en plus d’acteur.trices soucieux.ses de mettre en place des modes de fonctionnement plus éthiques, plus respectueux. L’appareil critique dont vous parlez doit indéniablement être réinvesti par le secteur public, mais il ne doit pas se limiter au champ de la représentation.

Eva Barto : Les fondations privées s’affichent aujourd’hui comme étant la solution à tous nos problèmes et nous empêche de soutenir intellectuellement et structurellement nos systèmes publics. Certaines parmi ces fondations contribuent clairement au système marchand et surtout à l’exploitation des travailleur.euses de l’art (absence ou faible rémunération, course à la visibilité) et pratiquent de surcroît des droits d’entrée parfois démentiels qui renforcent la vision élitiste que nous pouvons avoir de l’art. Difficile de faire des généralités car certaines sont plus ouvertes que d’autres, mais il semble important de ne pas se satisfaire de ces modèles qui profitent de ce soutien à l’art contemporain pour bénéficier d’avantages bien connus (défiscalisation liée au mécénat, art washing etc.). Refuser l’argent du grand capital ou la visibilité “offerte” par les fondations est bien entendu complexe car la précarité est bien réelle et il faudrait débattre plus longuement sur ce sujet pour éviter une dichotomie du pour ou contre. L’important est de mettre ces questions sur la table inlassablement, pour renforcer la solidarité entre les travailleur.euses de l’art et penser à des alternatives face à ses systèmes qui décident à notre place.

Switch (on Paper) : Votre dernière émission, celle du 4 avril 2020 est très sobre. Elle réunit les témoignages d’un certain nombre d’artistes français.e.s et étranger.ère.s au cœur de la crise sanitaire. On découvre sans réelle surprise la précarité des artistes auteur.e.s ou des auteur.e.s tout court. Mais face à la crise, la réaction des états est très variable. En Allemagne ou au Portugal, il semble par exemple que la prise de conscience du statut d’auteur.e soit beaucoup plus réelle qu’en France. Mais au-delà de ce sujet, très débattu par les réseaux sociaux, ne pensez-vous que l’art, les artistes et leurs droits soient totalement relégués au second plan face aux urgences de santé et bientôt sociales et économiques ?

Estelle Nabeyrat : Cette émission n’a pas été facile à organiser au vu des urgences de la crise sanitaire. Nous nous sommes bien sûr posé la question de sa légitimité. Pourtant, nous et notre entourage sommes sévèrement touché.e.s par les effets du confinement et pour certains.nes, la survie professionnelle à une telle épreuve reste incertaine.
Par ailleurs – faut-il le rappeler – le milieu artistique ne fonctionne pas en vase clos. D’abord, parce que beaucoup d’activités ont lieu en public. On sait par conséquent qu’un bon nombre de professionnels.elles ont été touché.e.s par le virus, notamment après des foires qui se sont tenues juste avant les confinements. Aussi, parce qu’en France qu’il n’y a pas d’intermittence pour les arts visuels. Il n’est pas rare que les précaires de l’art doivent trouver un emploi dans les magasins d’alimentation, le service à la personne etc. , des jobs alimentaires loin de ne concerner que les étudiant.e.s. Juste après le personnel médical, les emplois de services sont statiquement les plus exposés au Covid-19. Enfin, beaucoup d’indépendant.e.s ont des revenus très faibles et très irréguliers, et sont inscrits au RSA, ce qui n’est pas sans conséquence sur leurs conditions de logement.
Il y a donc une importante proportion d’acteurs et actrices du secteur violemment exposé.e.s à la crise sanitaire. Il nous importait de faire une place à ces témoignages.
La crise agit comme un révélateur des inégalités sociales. Les mesures compensatoires et les aides d’urgence sont souvent insuffisantes. Si le gouvernement a proposé certaines aides pour le secteur culturel, elles ne s’appliquent pas à tous.tes. Il faut déjà avoir gagné quelque chose pour prétendre à une aide alors qu’une majorité des d’activités sont suspendues jusqu’en juillet.
Les premières aides privées s’adressent à certaines typologies d’artistes, éventuellement à leurs galeries. Beaucoup d’entre elles et eux, mais aussi les curateurs, galeristes, critiques, régisseur.ses… ne savent pas s’ils ou elles vont se remettre des suites de la crise du coronavirus. Je suis personnellement déconcertée : le reste de l’écosystème reste ignoré. Le secteur culturel est toujours considéré à la marge de l’économie. Dans un pays culturellement aussi dynamique et attractif que la France c’est un triste constat.

Eva Barto : En effet, la place de cette émission dans le contexte actuel peut certes paraître en décalage vis-à-vis de la nécessité d’apporter un soutien aux personnes en difficulté, aux soignant.es etc. La création d’un fonds de soutien aux artistes a d’ailleurs fait débat dans le milieu, car il serait cohérent de se demander si l’argent ne devrait pas être dirigé vers les personnes au cœur de cette crise aujourd’hui. Cependant, la culture va clairement être impactée, et si nous n’agissons pas, c’est tout une partie du secteur culturel, et nombre de ses travailleur.euses, qui ne vont pas se relever.

En couverture : ForTune au Sodavi #1 (Schéma d’Orientation pour le Développement des Arts Visuels), Jeu de Paume, Paris. De gauche à droite : Giuliana Zefferi, Eva Barto et Estelle Nabeyrat, réalisation : Gaspard Collin, Juin 2019

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