3 bis F
science

Résidence, santé, 21 novembre 2019

3 bis F

Le 3bisf, les visiteurs, les artistes et les patients

Chronique par Emmanuelle Gall

Sommaire

Lieu d’arts contemporains, implanté depuis 1983 dans un hôpital psychiatrique à Aix-en-Provence (France), le 3bisf est un espace résolument expérimental : à la fois résidence de création et de recherche dédiée aux arts vivants et visuels, théâtre, atelier, galerie, et bien plus encore.

Dans l’enceinte de l’hôpital Montperrin, ville dans la ville construite à la fin du XIXe siècle, la présence du 3bisf est signalée par quelques panneaux discrets, à suivre si l’on ne veut pas se perdre dans les allées, entre jardins et bâtiments historiques. À côté des Bains généraux, transformés en centre de documentation, la structure occupe un ancien pavillon de force, autrefois destiné aux patientes « agitées ». Du temps des asiles d’aliénés, le lieu conserve une curieuse architecture en arc de cercle, dite panacoustique, c’est-à-dire conçue pour faciliter la circulation des sons et donc la surveillance. Les anciens dortoirs et les cellules d’isolement sont respectivement devenus espace d’exposition et salle de spectacle. Il en conserve aussi le nom. Les différents bâtiments étaient simplement numérotés. Celui-là était le 3 bis (avec f pour femmes) ; son homologue avec un h pour hommes est désormais dévolu à d’autres fonctions depuis sa fermeture au début de années 1980.

Sa philosophie et son positionnement évoquent aujourd’hui les mouvements de réflexion proches de la psychothérapie institutionnelle, ce courant de pensée né après la Seconde guerre mondiale qui met l’accent sur la dynamique de groupe et la relation entre soignants et soignés. Se présentant comme « non thérapeutique a priori » et prônant la « déségrégation » (suppression de toute ségrégation), la résidence du 3bisf offre aux artistes le gîte, un atelier et une bourse en échange du partage de leurs recherches avec le public. Patients, aixois et amateurs de tous horizons sont les bienvenus le temps d’ateliers, expositions, représentations et autres rencontres. Chaque année, le 14 juillet est par exemple l’occasion de conclure la saison avec une fête nationale « d’un nouveau genre, de tous les genres… ». « Mais on peut aussi venir au 3bisf juste pour boire un café », complète Oriane Zugmeyer, chargée de la communication et de la médiation culturelle.

Au programme du jour de la visite sur place : un atelier proposé par le duo anglo-irlandais gethan&miles et intitulé « shooting the breeze ». Ce titre idiomatique traduit leur envie de « photographier le vent, faire chanter l’orage, exposer la neige, écrire les nuages… ». Tous les jeudis après-midi, depuis trois mois, au gré de la météo et de leur humeur, les artistes lancent une nouvelle expérience. La brise leur a soufflé l’idée de construire des cerfs-volants. Gethan, Myles, leur fille Zélie et une dizaine de participants partent en quête de bambous dans les jardins de l’hôpital. Il y a là des patients, des visiteurs et un infirmier, que rien ne permet de distinguer. En poste depuis 1992, Jean-Luc Pruvost ne porte pas de blouse et ne se lasse pas de cet espace, où il dit pouvoir « exercer vraiment son métier, loin de la surmédicalisation ». Lui et sa collègue Brigitte Veuillot sont des piliers de la structure, au même titre que les 6 autres membres de l’équipe dirigée, également depuis 1992, par Sylvie Gerbault. Tous partagent le même grand bureau ouvert, les réflexions et les responsabilités. De même que le conseil d’administration de l’association Entr’acte, porteuse du projet, est constitué – à part égales – de représentants de la Santé (personnel soignant, psychiatres, psychologues, etc.), de la culture (artistes, metteurs en scène, chorégraphes, etc.) et de la société civile. C’est l’un des principes fondateurs du 3bisf : jeter des ponts entre des mondes qui, ailleurs, s’ignorent et (re)créer du lien entre le milieu hospitalier et l’extérieur, les visiteurs, les artistes et les patients, l’art et la société… Cette ambition dans l’air du temps, qui figure au programme de nombreuses structures, ne reste pas ici à l’état de vœu pieux. En témoigne la population extrêmement hétéroclite rencontrée dans les couloirs du lieu, son centre d’art ou le bâtiment des résidents.

Parmi la quinzaine d’artistes ou collectifs qui se relaient ici chaque année, pour quelques semaines ou quelques mois, on compte des écrivains, des danseurs, des performeurs, des plasticiens mais aussi des clowns, des musiciens ou encore des philosophes… Certains ont postulé pour une résidence de recherche, sans aucune obligation de production, les autres sont venus finaliser une création, dont ils présenteront une étape de travail ou qu’ils exposeront dans la galerie. Dans tous les cas, la seule contrainte est l’échange avec le public : « il ne s’agit pas tant d’accompagner la formalisation de nouvelles pièces destinées à l’exposition, que d’offrir un espace d’expérimentation »,   précise Diane Pigeau, la directrice artistique chargée de la programmation des arts visuels. Habitués à travailler hors des sentiers balisés, gethan&miles sont conquis par cette nouvelle expérience : « Le 3bisf est un lieu extrêmement nourrissant et généreux. Quand on intervient ailleurs, souvent, on nous demande d’abord, ce qu’on peut apporter. Ici, on te demande ce dont tu as envie ».

 

 

Couverture : Bienvenue dans l’Europe de la diversité…culturelle. Visuel de saison, septembre-décembre 2013. © Laurent Garbit

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