Le monde confiné n’est pas une nouveauté pour Alexandra Guillot. Depuis 2012, elle connaît ces longs moments dans lesquels nos vies se rétrécissent. Elle s’est lancée depuis dans la collecte d’images via de nombreuses bases de données pour en faire des albums photos ou des films. Les deux créations présentées ici puisent dans des collections des années 1950 et 1960, mélange d’images de surproduction, de consommation industrielle et de slogans publicitaires conçus comme une propagande déjà virale. “Mémo à moi-même”, c’est le titre de cette série de travaux que vient éclairer ce texte introspectif de l’artiste.
Été 2012.
Repos contraint.
Premier confinement de plusieurs semaines.
Il s’agissait de s’occuper, de continuer à se nourrir.
La générosité numérique de la Bibliothèque Nationale de France avec son site Gallica tient alors ce rôle.
Ces plusieurs semaines, je les ai passées à en éplucher la section « Photographies ».
Addict je suis devenue, addict je suis restée.
Puis il y a eu la base de données du Metropolitan Museum ou de la New York Public Library.
J’ai goulûment exploré nombre de sites qui me permettaient de voir et de télécharger des images pour satisfaire ma boulimie visuelle.
Et de les amasser sur mon ordinateur.
Été 2018.
Nouvelle contrainte de repos.
Me voilà allongée face à la télévision.
Ennui et besoin de distance analytique.
La publicité.
Ça m’a sauté aux yeux, la publicité est partout.
Ça m’a sauté aux yeux alors qu’il n’y a rien de nouveau là-dedans.
Juste une accoutumance qui nous maintient le nez dedans.
Face à cet écran, je peux éviter les chaines d’actualités orientées, les programmes abrutissants, pourtant aucun moyen de contourner la publicité.
Et quand je suis sortie dans le grand extérieur, elle était partout, là aussi.
Beaucoup plus pernicieuse que les programmes casés entre, ses codes sont moins flagrants.
Moins flagrants car incarnant l’adage « Plus c’est gros, plus ça passe ».
La publicité n’hésite pas à avancer l’argument suivant : ce produit (lisons ici la consommation en général) est hallucinogène.
Un trip.
À peine un petit chewing-gum mentholé mis dans notre bouche que nous voilà chevauchant un surf au creux du rouleau d’une vague géante.
Psychotrope intense, à l’effet court comme la durée d’une pub.
L’odeur de cet adoucissant nous transporte dans un sous-bois fleuri empli du gazouillis des oiseaux.
Ce déodorant masculin brouille la conscience des jeunes femmes qui vous suivent maintenant partout.
La publicité se comporte comme un shoot de drogue, un flash.
Mais ce n’est pas suffisant.
Il faut éduquer le consommateur.
Et comment l’éduquer au profit des annonceurs et de leurs commanditaires ?
En les guidant vers plus d’individualisme, en les incitant à protéger leurs petits avantages, leur pouvoir d’achat.
Ici on verra des parents faire du chantage à leur enfant pour obtenir la dernière part de pizza.
Sous couvert de ressort comique.
Là, un personnage mentir pour satisfaire ses désirs (désirs souvent superflus par ailleurs).
Sous couvert de ressort comique.
Ou encore un autre appuyer sans vergogne sur tous les boutons de l’ascenseur bondé d’un immeuble d’affaire, pour finir de regarder sa série, sourire satisfait en coin.
De la mesquinerie sous couvert de ressort comique.
Tout cela est apparent, montré comme autant de conseils, de règles pour s’en sortir dans notre société consumériste.
Je me suis abonnée à une plateforme de streaming en ligne.
Printemps 2020
Toujours en pseudo-confinement au moment de celui généralisé, j’avais accumulé quelques dizaines de milliers d’images.
J’en ai entrepris le tri.
Sans pour autant pouvoir m’arrêter d’en collecter.
Je ne m’arrêtais pas de collecter des vieux livres scannés, des vieilles revues sur archive.org.
Cette bibliothèque de données, dont personne ne pourra faire le tour en une vie est, pour moi et en toute simplicité, un grand trésor qu’il nous faut continuer d’alimenter.
Alors j’y passe des heures, des jours, à me laisser porter de mots clés en mots clés, que ce soit pour faire de la vidéo, du son, de l’image fixe ou simplement pour le plaisir de la découverte hasardeuse.
Promenade infinie à travers ces médias et plus.
Ces nouveaux téléchargements ainsi que le tri de ma collection m’a fait apparaître la logique qui liait tout un tas de documents des années 1950 et 1960.
Ils révélaient des graines idéologiques.
Des graines de plantes carnivores.
Maintenant, le confinement est obligatoire pour tous.
Maintenant est remise en cause la mondialisation face à cette pandémie.
Mais la question du Après est grande.
Va-t-on revenir à des circuits courts de distribution ?
Privilégier l’autonomie en nourriture des pays plutôt que leurs spécialisations de production ?
Les drones qui survolent nos villes vont-ils y rester, qu’en sera-t-il des lois liberticides ou des méthodes de surveillance mises en place actuellement ?
Il suffit d’observer les réseaux sociaux pour constater que cette période est propice à la rétrospection.
Et c’est une bonne chose.
Une chance de parvenir à une vision plus globale des évènements.
D’où mon intérêt à regrouper ces « graines idéologiques », à les rassembler.
En faire un montage, de ces slogans trouvés, sur fond de réalité de la chose.
Entamer la maquette d’une édition regroupant ces images de propagande.
The network is, in every sense, a growing system.
Le réseau est, dans tous les sens du terme, un système voué à l’expansion.
Accédez à la vidéo d’Alexandra Guillot Mémo à moi-même