Une censure chinoise
Une censure chinoise

Une censure chinoise mise à nu

Chronique par Camille Reynaud

Sommaire

Malgré les 1900 km qui le séparent de la capitale chinoise, le Lianzhou Foto n’a pu échapper à la surveillance de Pékin dont la très visible main de la censure est venue décrocher 200 des 2000 photographies initialement exposées. Si la tenue d’un festival international de cette envergure sous le régime de Xi Jinping semblait une victoire en soi, sa dernière édition témoigne d’une sévérité accrue de la part du Parti.

Les deux principales cibles de la police de l’image ? Le politique – dans son acception la plus large, des migrants aux obsessions sécuritaires en passant par les problématiques écologiques – et la nudité.

Ou Zhihang, 49 ans, se photographie depuis 2005 devant des lieux marqués par un scandale, une catastrophe ou une manifestation pour rappeler des événements sensibles que le gouvernement a essayé de minimiser ou d’étouffer : scandale du lait en poudre frelaté qui a causé l’empoisonnement de 300 000 bébés, expropriation de terres par des fonctionnaires corrompus, explosion d’un entrepôt chimique, enlèvement de libraires, accident ferroviaire, suicide d’enfants d’ouvriers migrants… Ou Zhihang se déshabille, déclenche le retardateur et effectue quelques pompes devant l’objectif. Son corps nu à l’effort imprime la mémoire de ces lieux symboliques et devient à son tour objet de contestation. Dans sa série « A Weak Road », le photographe de rue Liu Tao signe lui aussi une série d’autoportraits où il s’agrège, nu, aux ruines de quartiers en cours de démolition à Pékin.

S’ils sont tous deux surveillés de près par les autorités chinoises, Ou Zhihang et Liu Tao sont toutefois moins inquiétés que d’autres artistes comme Ren Hang ou Lin Zhipeng. Leur point commun ? Une esthétique assumée du nu, leur homosexualité et leur popularité sur les réseaux sociaux auprès de la jeunesse chinoise.

Car si la censure dans les galeries et expositions est indéniable, elle n’est cependant pas aussi rigide et automatique que sur Internet où l’audience – et par conséquent le potentiel de subversion – sont plus importants. L’intranet chinois, qui possède ses propres réseaux sociaux, est un filtre très efficace. En avril 2018, la plateforme Weibo – équivalent chinois de Twitter, a entrepris une « campagne d’assainissement », à savoir la traque et la suppression de contenus considérés comme violents, pornographiques ou à teneur homosexuelle. Face à la mobilisation massive des internautes et de la communauté LGBTI, la dernière catégorie a finalement été épargnée. Mais l’intention était révélatrice de la stratégie du gouvernement, qui utilise la réglementation contre la pornographie pour censurer plus largement tout contenu relatif à la sexualité, surtout lorsqu’elle s’extrait du cadre normatif marital défini par la loi de 1949. La loi de juin 2017 sur les données personnelles et la cybersécurité prohibait d’ailleurs déjà toute mention aux relations homosexuelles, mises sur le même plan que les abus sexuels. Ainsi les nus féminins de Yang Fudong, exposés en 2018 au Shanghaï Long Museum, ont été mieux tolérés que les corps entrelacés photographiés par Lin Zhipeng et Ren Hang.

Avant de se suicider en février 2017 à l’âge de 29 ans, ce dernier était régulièrement empêché par les censeurs d’exposer ou de publier son travail, condamné aux motifs de « libération sexuelle » – qui ménage une grande latitude d’interprétation –, « suspicion de sexe » et « pornographie ». Dans un contexte de conservatisme et de prohibition sexuelle, et précisément parce qu’elles étaient à ce point réprimées, les photographies de Ren Hang ont acquis une dimension politique engagée dont il ne se réclamait pourtant pas.

Ainsi la loi anti-image pornographique se présente-t-elle comme un véritable outil de répression artistique, sociale et politique pour un gouvernement.

Couverture : Ouvrage monographique, Ren Hang. Taschen, 2016.

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