Paru dans la revue Aujourd’hui en avril 1965, cet article signé par le critique d’art Julien Alvard décrit les libertés que Jean Dupuy s’est octroyées pour peindre à sa manière, dans la nature, en utilisant notamment des herbes comme pinceaux.
Dupuy est un homme qui aime la liberté et le plein air. Pas seulement pour lui mais pour son art. Ainsi il lui arrive de travailler en rase campagne. Ses toiles, il ne les touche pas. Il leur donne le rythme de sa coulée de pinceau. Pour éviter de projeter la couleur, il travaille à plat et du fait qu’il se contente de laisser couler son pinceau, ses toiles acquièrent une sorte de réserve, de retenue qui les différencient complètement des éclaboussures.
La trace des couleurs selon qu’elle est pressée ou dispersée, inscrit des rythmes en quelque sorte suspendus en l’air. Car s’il n’y a pas d’éclaboussures, il n’y a pas non plus d’écriture directe, de sismographie, de graffiti. Dupuy peint ses toiles comme on marche sur l’eau ou comme un somnambule.
De là une impression de silence : rapides ou lents, ses rythmes on les entend à peine. Il faut dire que le fait de ne faire que des rythmes blancs sur fonds noirs ou au contraire des rythmes noirs sur fonds blancs, ajoute encore une sorte de sévérité, presque de monacalité à ces masses de discrétions déjà si légères. Les dessins sont étonnants. Ils posent des questions et y répondent. Faits avec toutes sortes d’herbes et bien entendu en plein air, ils traduisent tantôt la légèreté des graminées, tantôt le grain plus épais du serpolet ou des ombellifères. C’est étonnant à voir le caractère bourru du serpolet. L’intérêt de ces « épreuves végétales » est inattendu mais incontestable.
On s’aperçoit qu’on n’a jamais laissé parler les plantes. On a dit beaucoup de choses avec les fleurs mais on n’a jamais rien su dire avec de l’herbe. Sauf peut-être les Japonais qui ont une sensibilité d’écorché à l’égard des moindres manifestations de la nature.
Il ne faudrait pas croire que cela ait le moindre rapport avec un herbier, non ; c’est en trempant de petits bouquets d’herbe dans de l’encre ou dans des encres – il y en a de vertes et de rouges – que Dupuy a réussi cette gageure, dégager de nouvelles aptitudes chez les plantes en l’occurrence celle de délirer sur du papier après avoir barboté dans de l’encre.
Couverture : Jean Dupuy, N° 40, 1965, acrylique sur papier, 67 x 102 cm. Photo : Pierre-Alain Marassé.