Jean Dupuy, vue de l’exposition Works from 72 to 78, Marian Goodman Gallery, New York, mai 1978
portrait

Artiste, 21 janvier 2022

Jean Dupuy, vue de l’exposition Works from 72 to 78, Marian Goodman Gallery, New York, mai 1978

Art technologique Jean Dupuy at Marian Goodman

Essai par Thomas Lawson

Sommaire de l’édition

Cet article est paru en juillet/août 1978 dans Art in America. Il est écrit par le tout jeune critique d’art Thomas Lawson qui, plus tard, aura une carrière d’envergure internationale. A l’occasion d’une exposition à New York à la galerie Marian Goodman, elle aussi débutante, il établit un lien entre les performances et les objets créés par Jean Dupuy, d’apparence modeste et impliquant une proximité physique avec les corps des visiteur.euse.s.

Ces dernières années, Jean Dupuy s’est sans doute mieux fait connaître, du moins à SoHo, en tant qu’imprésario de performances, en organisant de grands spectacles collectifs au cours desquels les performeurs doivent travailler dans le cadre de limites strictes établies par Dupuy. Entre autres : travailler sur la plateforme d’une petite scène tournante ou […] au Grommet Studio, cachés derrière une toile et visibles par une seule personne à la fois, à travers un minuscule œilleton. Ce dernier spectacle a légèrement déçu, car les artistes et les visiteurs se sont retrouvés dans des positions étranges et un peu inconfortables. En réalité, les performeurs ne produisaient pas uniquement leurs propres pièces, mais prenaient part à un tableau vivant conçu par Dupuy. Le rôle du spectateur était également plus complexe, car tandis qu’il attendait patiemment l’occasion de regarder dans les petites arènes allouées à chaque performeur, il prenait lui-même une part active à l’œuvre.

Aujourd’hui, grâce à sa récente exposition chez Marian Goodman, on constate qu’au cours des six dernières années, Dupuy n’a pas renoncé à fabriquer des objets d’art, et qu’il a tranquillement produit un ensemble d’œuvres traitant de problèmes semblables à ceux soulevés par les performances. La majorité des objets sollicitent le visiteur : il doit regarder dans des boîtes à travers des lentilles, qui créent une série de déplacements des perceptions normales. Par le truchement de l’agrandissement et de la réflexion, Dupuy confère à des objets familiers, un crayon par exemple, une présence mystérieuse ; ou alors, il porte atteinte à notre vanité, en nous exposant des zones de notre corps (l’intérieur de l’oreille, le sommet du crâne) que nous voyons rarement. Les pièces sont présentées avec un manque de prétention désarmant, de même inspiration que la nature improvisée des performances. Plusieurs des pièces sont contenues dans des boîtes assez petites pour être tenues dans une main – boîte à cigares, boîtes de bonbons, boîtes évoquant la vie domestique. D’autres pièces rappellent des intérieurs de lofts, avec leurs planches à dessin et leurs lampes à pince.

L’une des pièces les plus représentatives porte un long titre descriptif : Ceci est une façon de regarder un objet en le voyant en même temps depuis deux perspectives différentes, de gauche et de loin, de droite et de près. L’objet en question est le moulage en plâtre d’un pied, de couleur chair, monté sur une planche recouverte de papier : il peut être regardé par deux télescopes montés dans une boîte posée sur un lutrin solide, d’allure rustique. Vu par l’un des télescopes, le pied semble minuscule ; par l’autre, si grand qu’on n’en distingue qu’un détail. Dans d’autres pièces faites avec des planches à dessin, quand le visiteur regarde à travers une lentille sertie au centre de la table, il découvre, étonné, l’arrière de sa tête – ou un dessin dans une autre partie de la galerie. Ce travail suscite une impression d’intimité : il faut le tenir en main, se pencher dessus, le toucher. Mais l’effet produit par cette intimité n’est pas la familiarité, comme l’on s’y s’attendrait. Car les objets proches sont mis à distance et les objets distants sont rapprochés. Les perceptions quotidiennes sont déjouées et ce qui semble ordinaire devient mystérieux.

Jean Dupuy, vue de l’exposition Works from 72 to 78, Marian Goodman Gallery, New York, mai 1978

Jean Dupuy, vue de l’exposition Works from 72 to 78, Marian Goodman Gallery, New York, mai 1978.

Couverture : Jean Dupuy, vue de l’exposition Works from 72 to 78, Marian Goodman Gallery, New York, mai 1978.

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