The Interstellar Villains en studio
The Interstellar Villains en studio

Le Cri de la momie, épisode 2 : The Interstellar Villains

Chronique par Arnaud Maguet

Sommaire

On peut noter, en ces temps incertains de Novlangue post-orwellienne, une multiplication patente des injonctions à la professionnalisation. Ne souhaitant s’en tenir à ces conseils qui n’entendent rien des émotions et s’en tiennent à produire vieillissants insatisfaits et autres célibataires de l’art, l’auteur nous narrera, tous les mois (ou presque), les vertus de l’amateurisme appliqué au champ musical — s’y croiseront des laboureurs sans ambition, des journaliers sans le sous, des vendangeuses aux reins brisés et toutes les mauvaises herbes qui jamais ne fleurissent sous le soleil exactement.

The Interstellar Villains : Richard Walsh (basse), Tony Thewlis (guitare et chant), Alan Hislop (batterie), photo promotionnelle

The Interstellar Villains : Richard Walsh (guitare), Tony Thewlis (guitare et chant), Alan Hislop (batterie), photo promotionnelle

Tu en as trop dit, mon petit, tu crevais trop d’envie d’étaler toute ta vie.
Cette manie de la franchise que vous avez, vous autres amateurs !
Il faut toujours que vous forciez la dose.

Dashiell Hammett in La Moisson rouge (1929)

The Interstellar Villains, Up Shit Creek Without a Paddle

« Up shit creek without a paddle », que cela nous aura donné du mal ! En l’occurrence, pas de remonter réellement un ruisseau plein d’excréments sans pagaie, quoique cela, même sans l’avoir personnellement testé, ne semble ni particulièrement agréable ni particulièrement aisé, non. Il s’agissait de comprendre et donc traduire un roman de littérature de gare lu dans le texte, texte qui se trouvait être en anglais. Sur le coup, la donnée selon laquelle la Perfide Albion avait délégué sa langue à l’une de ses anciennes colonies océaniques ne nous avait pas frappé et l’idée de compulser un bréviaire idiomatique d’argot australien ne nous était pas venue à l’esprit. Nous avons donc expérimenté cette traduction avant de l’appréhender, et avons donc intégré son sens avant de le connaître — la traduction par l’épreuve, donc. Il s’agit, vous l’aurez compris plus vite que nous, d’un élégant compromis entre, ce que dans la langue de Molière, nous exprimerions comme « je suis dans la merde » et « arrête de ramer, t’attaques la falaise ». Remarquez ici que le saltimbanque français n’a rien à envier au lointain cousin bagnard de Shakespeare, hormis la concision, peut-être.

Et puis, me direz-vous, que nous chaut tout ceci en ces premiers frimas où pagaies et littératures de gare (puis de plage, puis re-de-gare) ont été rangées dans des placards jusqu’à l’an suivant ? Et bien cela m’a donné envie de vous causer de musique australienne, voilà tout.

The Interstellar Villains, I love you, she said

The Interstellar Villains, vidéo du titre I Love You, She Said, face B du 7” My Boy Friend is An Outlaw, Munster Records, 1991

Nous n’allons pas parler ici de INXS, qui trente ans avant tout le monde, avait lancé la mode des noms de groupe expurgés de toutes voyelles inutiles (comprenne qui pourra, en général les jeunes) et dont le chanteur, en un ultime geste non-dénué d’un certain panache, hésita un moment entre sa ceinture Louis Vuitton et sa ceinture Gucci pour se pendre, et, de mémoire, choisit finalement le camp de François Pinault. Il s’appelait Michael Hutchence et ne nous semblait pas antipathique car nous ne l’avions jamais entendu s’exprimer. Nous ne parlerons pas non plus de Kylie Minogue à qui il avait d’ailleurs conté fleurette, les informations exactes sur cette idylle nous font en effet défaut ; notre collection de OK Podium étant sens dessus dessous, une chatte n’y retrouverait pas ses petits, fusse-t-elle célèbre. S’en suit que Midnight Oil n’est plus au programme et qu’il y a de nos jours un groupe nommé Tame Impala, mais qui n’a, parait-il, rien à voir. King Gizzard and the Lizard Wizard est trop complexe à orthographier plusieurs fois d’affilée, trop bavard aussi. On ne touchera pas aux Bee Gees et la liste s’arrêtera là car il n’est pas question ici de faire un inventaire des prés verts de ce beau pays où galopent les colons du succès susnommés.

Bref, c’est de la frange périphérique la plus marginale (c’est trop !) du rock millésimé que nous allons vous causer, et d’une manière pas totalement dépourvue d’expressions idiomatiques fleuries (c’est bien légitime). Une région si reculée que les fans de disques vinyles, en platistes qui s’ignorent, la placent tout au bord du monde. Après, c’est la chute, le néant. Mais reprenons donc notre cheminement, juste après la frontière des Easybeats et l’autoroute d’enfer vers AC/DC, par-delà les vaisseaux fantômes des Saints, en aval du long fleuve de Nick Cave et ses Bad Seeds, passés les marécages des Scientists, plus avant que les torrents de gnôle des Beasts of Bourbon, à droite du jacuzzi des Hoodoo Gurus, oui, juste là, au fond de cette crique qui fut sauvage, ce sont eux : les Interstellar Villains ! Tony Thewlis à la guitare et au chant, Richard Walsh à l’autre guitare et Alan Hislop à la batterie, ils sont tous là.

The Interstellar Villains, vidéo du titre I Love You, She Said, face B du 7” My Boy Friend is An Outlaw, Munster Records, 1991

The Interstellar Villains, vidéo du titre I Love You, She Said, face B du 7” My Boy Friend is An Outlaw, Munster Records, 1991

Le groupe n’est pas référencé sur Wikipedia, ce qui dénote de nos jours deux choses exquises : un manque total d’ambition, même rétroactive, et une toute petite poignée de fans tout aussi détachés. Nous aimons ce mépris de la perspective historique — placés si loin qu’on ne les aperçoit même plus, hors de la photo de famille, « reculez encore un peu… encore un peu… parfait !» : hors champ. Repoussées dans leurs derniers retranchements, les images seront alors autres, différentes, de petites idées filmées avec de petits moyens, diront certains de leurs vidéo-clips. C’est à la fois vrai, en dessous de la vérité, et parfaitement raccord. Parfois, ces séquences montrent un attachement à la série télévisuelle Le Prisonnier, parfois pas. Ce qui, en revanche, est certain, c’est qu’elle ont été captées par un caméscope bon marché, et ceci à chaque fois que la nécessité s’en est fait ressentir. Ils n’ont que deux albums au compteur depuis la fin des années quatre-vingts (dont un mini de seulement six morceaux au titre délicieusement Lewis-Carrollien Right Out in the Lobster Quadrille) et cinq 45 tours dont un en duo avec Alison Handley qui chante semi-juste et c’est très beau. Tous sont évidemment peu onéreux et facilement commandables d’occasion sur Internet. Bizarrement, alors que nous les chérissons comme les fragiles trésors qu’ils sont, des gens semblent souhaiter s’en séparer. Où va ce monde ? Nous vous posons la question.

Par le truchement des technologies contemporaines de communication, nous vous laissons découvrir par vous-même ces guitares aigres comme des slips en été, ces rythmiques tribales aux roulements acrobatiques, ces paroles sincèrement naïves (« Where are we goin’ ? To the Top ! » ou « Baby, I don’t love you very much ») qui semblent s’être directement frayé un chemin de la moelle épinière à la bouche sans réellement se soucier de transiter par le cerveau. Sympathisez donc avec ces hommes qui jamais n’oublient de faire un don à l’Association des Anciens de l’Adolescence (A.A.A. association loi 1901), envoyez aussi vos chèques et continuez à espérer, car la fougue, posée sur un boomerang, n’est pas une voie de garage — pas uniquement.

Ce groupe a omis de faire carrière, cela est louable. Ils parviennent, en une surprenante contorsion lombaire et sémantique, à être à la fois tendus et détendus ; et l’on se dit que les injonctions oxymoriques ont du bon et du beau quand elles ne sont pas subies, que les ressources humaines ont plus de potentiel sans direction, que l’incompétence est une forme de résistance. Gardez donc cela en tête quand votre électrophone trouvera à son tour le chemin de votre moelle épinière et que vous serez épatés car cela sera épatant. L’électricité emprunte toujours le chemin le plus court, sait se montrer généreuse en fréquences, mais souvent, on ne s’en souvient qu’une fois frappé. C’est ainsi. Ça réchauffe.

The Interstellar Villains, Right Out in The Lobster Quadrille, 12” paru en 1988 sur le label Timberyard

The Interstellar Villains, Right Out in The Lobster Quadrille, 12” paru en 1988 sur le label Timberyard

Avant de déjà se quitter, une anecdote en dira long sur la considération qui est la leur dans la communauté des musiciens australiens. Il y a de cela une paire d’ans, dans un pub du Vieux-Nice, devant une maigre douzaine de personnes, se produisait un lundi soir Kim Salmon, ex-chanteur guitariste des sus-nommés Scientists. Après un concert routinier au son exécrable, quelques viriles bières et les présentations faites, nous devisions sur le rock australien et nous lui avouions notre passion pour ses vilains compatriotes interstellaires. L’homme fit un pas en arrière, nous regarda dans les yeux et n’eut qu’un mot avant de tourner les talons usés de ses bottes usées : « Losers ! ». Il y a longtemps, Thewlis avait été son comparse au sein du groupe ; un scientifique avant un vilain. C’est souvent le cas dans les bons comic books, et les amateurs du genre le savent bien.

Post-scriptum : On nous apprend à l’instant qu’il y avait aussi sur la grande île des gens plus basanés qui chantaient et jouaient d’étranges flûtes gutturales pour les dieux des rêves et de la nature. Ils le faisaient à plein temps sans toutefois en faire métier mais aujourd’hui moins car leurs ruisseaux ont été souillés.

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