Bogoro, l’œuvre-enquête de Franck Leibovici et Julien Seroussi #3 À la rencontre des faits

Investigation par Virginie Bobin

Sommaire

Au croisement de l’art, de la poésie et la justice internationale, Switch (on Paper) publie un texte sous forme d’enquête en plusieurs épisodes sur un projet mené depuis 2014 par Franck Leibovici et Julien Seroussi à la Cour pénale internationale (CPI) dans le cadre du procès Katanga/Ngudjolo, noms de deux personnages accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés en 2003 dans le village de Bogoro en République démocratique du Congo. Ce troisième texte s’intéresse au problème des faits – abordé très différemment par les juristes et par les chercheurs en sciences sociales – et au mode de lecture alternatif proposé par le livre bogoro publié en 2016 aux éditions Questions Théoriques.

[ 1 ]

bogoro, Questions théoriques, Paris, 2016.

[ 2 ]

bogoro, op.cit., p. 351.

[ 4 ]

Charles Goodwin, “Professional Vision” American Anthropologist 96 (3), p. 606-633, 1994 (traduction de l’auteure).

http://pages.ucsd.edu/~johnson/COGS102B/Goodwin94.pdf

[ 5 ]

Julien Seroussi, “S’emparer des faits. Un sociologue à la Cour pénale internationale”, Grief, op.cit, p. 134-143.

[ 6 ]

L’article a été publié dans un dossier coordonné par Julien Seroussi autour des rencontres entre juristes et chercheurs en sciences sociales dans le cadre de la justice internationale, in Grief n°3, Dalloz/EHESS, Paris, 2016, p. 152-162.

[ 7 ]

op.cit, p. 159.

[ 8 ]

op.cit, p. 156.

[ 9 ]

La neutralité du musée sera considérée de manière très différente selon les “visions professionnelles”, là aussi. Pour une historienne de l’art, discuter d’événements qui se sont déroulés en RDC particulièrement dans ce musée fait inévitablement écho aux débats de plus en plus vifs concernant les conditions criticables ayant présidé à l’acquisition d’une partie des collections dans d’anciens territoires coloniaux, le feuilleté historique des discours dans lesquels s’inscrivent les objets présentés et l’épineuse question des restitutions.

[ 10 ]

Au cours de la table ronde, Marianne Saracco a pointé le caractère subjectif de la sélection d’extraits effectuée par Leibovici et Seroussi, au risque de donner une impression grotesque du procès en se concentrant sur ses défaillances.

L’une des premières manifestations publiques du travail d’enquête mené par Franck Leibovici et Julien Seroussi sur les matériaux de l’affaire Katanga/Ngudjolo est le livre bogoro1, du nom du petit village de République démocratique du Congo (RDC) ciblé par une violente attaque en 2003, à l’origine du procès. Le livre résulte de l’examen minutieux des milliers de pages de transcripts produites tout au long des cinq années d’audiences. Leibovici et Seroussi ont soigneusement sélectionné un ensemble de passages qui mettent en lumière certains des obstacles ayant perturbé le travail des juristes. Leur but n’était pas de montrer du doigt les dysfonctionnements du procès, mais bien plutôt de révéler « la dimension anthropologique enfouie dans la parole des acteurs, et non remarquée lors du procès, si ce n’est sur le mode de l’obstacle à la progression du droit2 ».

Page 245 du livre, on peut ainsi lire l’échange suivant entre la cour et Chef Manu, l’un des témoins de la défense :

cette dame, vous la connaissez très bien, n’est-ce pas ?
je la connais très bien. c’est quelqu’un de ma famille.
quand vous dites « c’est une personne de votre famille », chef manu, c’est une personne de votre famille proche ou famille élargie telle qu’on la connaît en ituri, au congo, de manière générale ?
sa mère et ma mère sont nées dans une même maison, dans une même famille. sa mère et ma mère sont des filles de buy. on est des frères. elle est née de quelqu’un d’autre. et moi, je suis né de quelqu’un d’autre, mais à cause de nos mères, nous sommes frères et sœurs. ce n’est pas quelqu’un de blukpa (phon.) de blukwa (phon.) (dit le témoin et corrige l’interprète). mais ma mère et sa mère sont des sœurs.

Taguer le procès

Ce passage est accompagné du tag « état civil ». Une part importante du travail autour du livre a en effet consisté à structurer la masse textuelle par un index de mots-clés, tels que « fétiches », « milices » ou « uniformes ». Appliqués à certains paragraphes, ces tags invitent à porter une attention particulière à des dimensions spécifiques du procès. Ils proposent une lecture transversale des transcripts et mettent l’accent sur la plasticité des mots, qui se chargent de nouvelles significations au fur et à mesure des audiences. Tous ces tags sont rassemblés dans un index où ils se répondent et composent des « familles » inattendues. Construit de manière chronologique, le livre donne la parole aux anciens enfants-soldats présents en tant que témoins de l’accusation, puis aux victimes, aux témoins de la défense et aux employés de la cour. Le système d’écriture mis en place par les auteurs permet de passer outre l’organisation hiérarchique pesant sur les positions et les statuts de chacun au sein du tribunal. Par ailleurs, les temps d’attente causés par les délais et les brouillages dus aux outils et aux opérations nécessaires à la traduction du swahili et du lingala vers le français et l’anglais, n’apparaissent pas à lecture, même s’ils sont parfois pointés du doigt au détour de certains extraits reproduits à dessein dans le livre. Le choix d’une langue unique dans le livre (le français ou l’anglais, selon les éditions) rend la lecture plus fluide, tout en accordant, du moins en apparence, une parole également intelligible à chacun des protagonistes. Ce monolinguisme de circonstance autorise à se concentrer sur le contenu des interventions et sur la circulation des termes mis en évidence par le système de tags.

Et si un tel système avait été utilisé par les juges pour analyser les matériaux et les témoignages produits au cours du procès, auraient-ils considéré différemment les faits (et les relations entre les faits) ? Franck Leibovici analyse la « logique pondérale de la preuve » (ce sont ses mots) qui pèse sur les juristes et leur appréhension des faits, due selon lui à la stratégie particulière choisie par le procureur. En amont du procès, explique-t-il,

« le procureur sélectionne très peu de faits, parmi de nombreux possibles, qu’il considère comme suffisamment robustes pour fonder la stratégie juridique sur laquelle il a décidé, en amont, de s’appuyer. Autrement dit, il bâtit l’équivalent d’une pyramide inversée, posée sur son sommet : il va faire reposer une construction juridique établissant un mode de responsabilité de l’accusé sur un « petit fait » bien établi. La recette est donc 10 % de faits pour 90 % de droit. Le problème est que, dans ce procès, ce qu’on appelle un ‘‘fait’’ n’est pas très stable : l’état civil des personnes n’est pas parfaitement établi, ni les liens de filiation, ni les chaînes de commandements, ni même la géographie des territoires – pendant tout le procès, les juges réclament une carte officielle de la région, inexistante, et en sont réduits à demander aux témoins de dessiner de mémoire les routes menant ou partant de leurs villages.

Ce n’est pas seulement qu’une quantité d’informations fait défaut, c’est que les catégories en usage et les pratiques des témoins diffèrent de celles de la cour. C’est un problème banal en sciences sociales, en sociologie, ethnologie ou anthropologie, mais auquel le droit international pénal n’est pas encore préparé, du fait de sa jeunesse – le droit pénal national, lui, n’a jamais ce problème puisque le juge et les accusés appartiennent à la même culture, à la même société. Les faits étant, dans ce procès, ce qui était paradoxalement le plus négligé – tout comme les instruments pour les appréhender, pour les attraper –, notre idée a été de mettre en place des outils qui permettent aux juges de devenir sensibles au terrain via les documents (puisqu’ils ne se rendent pas directement sur le terrain). C’est-à-dire, d’élargir la base de la pyramide inversée, pour qu’elle ne repose plus sur un sommet pointu, mais sur une surface plus étendue. Notre question était donc : comment peut-on augmenter l’attention aux faits pendant un procès sachant que ce n’est pas le travail des juristes, mais plutôt le travail d’autres disciplines comme les sciences sociales ou l’art, la poésie ? »

Comparer les visions professionnelles

Les réflexions et les expériences menées par Leibovici et Seroussi sont nourries du travail de chercheurs en sciences sociales s’étant eux-mêmes intéressés de près à la justice internationale. Dans son livre Fact-Finding Without Facts (2010), la professeure américaine de droit pénal Nancy Combs observe que les procès internationaux sont souvent gangrenés par les écarts culturels, les problèmes de traduction et le manque de preuves documentaires.

« Les témoins ont souvent des difficultés à répondre à des questions factuelles de base. Par exemple, à quelques notables exceptions près, les témoins ont du mal à fournir la date des événements auxquels ils ont assisté. De plus, ils ont du mal à estimer les distances, la durée et les nombres, et à analyser des cartes, des photographies ou des croquis. L’impossibilité de répondre à ces questions peut considérablement mettre à mal la capacité du tribunal à trouver des faits. […] Parfois, les questions restent sans réponses, non parce que les témoins ne les connaissent pas, mais parce qu’ils ne comprennent pas les questions qui leur sont posées, ou parce que le personnel occidental de la cour ne comprend pas les réponses qu’il reçoit3

Au travers de ses recherches, Combs s’est rendue compte que 50 % des témoins contredisaient leurs dépositions initiales au cours d’un procès. Cela peut s’expliquer par les distances culturelles, mais elle ajoute que certains témoins le font aussi volontairement, exploitant les décalages culturels présumés afin de dérouter les juges pour, par exemple, protéger un accusé.

Au cours de nos échanges, Seroussi a insisté sur le fait que, dans la justice nationale, les juges peuvent s’appuyer sur des régimes de vérité partagés, sur des réseaux administratifs et policiers stables, ainsi que sur des archives. Rien de tout cela n’existe dans les pays en guerre, soit parce que cela a été détruit, soit parce que c’est inaccessible, soit parce que cela prend des formes si différentes que l’on n’est pas capable de les reconnaître. « Il y a très peu d’outils à la cour, ajoute-t-il, encore moins d’outils standardisés, à disposition des juges, des enquêteurs et des avocats pour faciliter leur compréhension ou reconstituer le contexte. »

Alors qu’on attend des juges et des tribunaux qu’ils puissent exercer leurs responsabilités de manière objective, leur « vision professionnelle », ou leurs « standards de perception professionnelle », pour reprendre les termes du linguiste américain Charles Goodwin4, sont déterminés par des normes en vigueur dans leur communauté professionnelle. Dans l’exercice de leur fonction, les juristes s’appuient sur ce que Goodwin appelle « des manières socialement organisées de voir et de comprendre les événements qui sont imputables aux intérêts distinctifs de leur groupe social particulier. »

Cette « vision professionnelle »oriente la manière dont les juges et les autres acteurs du droit regardent une image, une carte ou tout autre document présenté au cours d’un procès. La juriste française, ancienne assistante du juge Cotte à la Cour Pénale Internationale(CPI) Marianne Saracco faisait ainsi remarquer que « le regard du juriste est rendu impatient par la nécessité de qualifier les faits ».

franck leibovici, julien seroussi, muzungu, 2016. capture d’écran d’une retransmission d’audience (court 3)

Anthropologie et sociologie à la CPI

Cette approche divergente des faits peut expliquer pourquoi l’arrivée de Seroussi en tant qu’assistant de recherche auprès du juge Cotte en 2009 a pu être considérée problématique par ses collègues de la CPI. Comme il l’explique lui-même, le recrutement d’un sociologue visait à remédier aux obstacles et aux distances auxquels se trouvait confronté le juge,

« en se donnant les moyens de ‘‘s’emparer des faits’’. Ce recrutement était une décision de bon sens pour un magistrat français, familier des pôles spécialisés, qui regroupent des professionnels de la santé ou de la finance aux côtés des magistrats, dans le but de faciliter l’instruction de dossiers réputés complexes. Dans le monde de la justice internationale, il s’agissait d’une décision controversée. L’un des juges m’a dit que ma présence aurait été considérée au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie comme un  ‘‘anathème’’. La présence d’un sociologue soulevait une question d’impartialité, dans la mesure où j’étais en mesure de souffler à l’oreille des juges des informations sur le fond qui n’avaient pas fait l’objet d’un débat contradictoire à l’audience5. »

Seroussi a dû rassurer ses collègues en arguant du fait qu’il serait bien en peine de fournir de telles informations au juge, étant tout aussi peu familier de la situation politique en RDC et du contexte socio-culturel de l’Ituri que le reste des juristes. Sa mission était plutôt de proposer au juge d’autres types d’outils pour appréhender les faits, comme par exemple associer des codes couleur à certains types d’information pour pouvoir les recouper plus facilement, ou proposer des résumés narratifs des audiences. Ces tentatives ont préparé le terrain pour sa collaboration avec Leibovici.

Dans son article « Enquêter dans l’inconnu6 », l’anthropologue française Élisabeth Claverie – qui a mené une enquête de terrain autour du procès Katanga/Ngudjolo – compare les manières radicalement différentes employées par les chercheurs en sciences sociales et par les juristes pour examiner les faits et les preuves dans le cadre de crimes de guerre et de crimes de masse. En effet, leurs motivations divergent : les premiers travaillent à obtenir des connaissances pour les diffuser ensuite auprès du monde universitaire et du public, tandis que les seconds ont pour but « d’imputer, juger, prouver et sanctionner ». L’obtention de faux papiers d’identité, qui apparaîtra aux yeux de la cour comme une fraude délibérée, est par exemple considérée comme un fait sociologique banal dans un pays en guerre. Pour une anthropologue comme Claverie, il s’agit d’une tactique de survie, non de la manifestation d’un manque de crédibilité du témoin.

« Autre cas de réserve subjective des témoins utilisés par la défense comme preuve de non-crédibilité : la non-prise en compte de l’interdit rituel de prononcer certains noms, celui de certains morts, attitude de réserve interprétée comme l’indice d’une dissimulation fautive ou encore dénoncée comme provenant d’une personne non fiable […]7. »

Claverie observe que les juristes sont tenus par

« l’obligation de n’admettre que les ‘‘faits pertinents en l’espèce’’, c’est-à-dire les seuls faits circonscrits strictement par les charges, ce qui, pour un anthropologue, peut être une circonscription très réductrice pour éclairer la recherche des causes8. »

Pour les sciences sociales, rappelle Leibovici,

« un fait est justement ‘‘fait’’, ‘‘fabriqué’’, à l’aide d’instruments de saisie, de mesure, de stabilisation, qui vont permettre de pérenniser ce qu’on a attrapé d’une réalité fugace, et de le partager avec d’autres, de le faire circuler. Sans cet appareillage, sans cet équipement, on ne peut rien faire, car les faits n’existent pas dans la nature. »

Expérimenter des outils alternatifs

En décembre 2017, Leibovici et Seroussi ont organisé au musée du Quai Branly-Jacques Chirac un atelier de travail public d’une journée où des membres de la CPI s’étant occupés du procès Katanga/Ngudjolo pouvaient discuter des problèmes rencontrés pendant le procès avec des chercheurs et artistes ayant travaillé sur le même terrain. Élisabeth Claverie a pu ainsi débattre de ces questions avec le juge Bruno Cotte, la juriste Marianne Saracco, le représentant légal des victimes à la CPI, Fidel Luvengika Nsita, l’enquêteur auprès du bureau du Procureur à la CPI, Serge Sambou, l’historien français Pascal Plas, ou encore, le chercheur français en sciences politiques Thierry Vircoulon. À la cour, les juristes des différentes équipes ne sont pas autorisés à échanger des informations ou à discuter des affaires qu’ils traitent. C’était donc la première fois que les parties impliquées dans le procès Katanga/Ngudjolo avaient l’occasion de parler librement et en public de leurs expériences respectives, dans l’espace relativement neutre (du moins à leurs yeux)9 du musée. Prenant le livre bogoro comme point de départ10, les intervenants et le public ont débattu autour de trois notions s’étant avérées problématiques au cours du procès : le territoire, la famille et les milices. Le but de la table ronde était de créer les conditions d’une rencontre entre différentes « visions professionnelles », afin de voir comment l’articulation du droit, des sciences sociales et de l’art pourrait amener à un usage enrichi de leurs instruments respectifs.

Cet événement est caractéristique de la méthodologie employée par Leibovici et Seroussi : produire des objets artistiques (comme le livre bogoro) qui re-présentent certains problèmes ayant émergé au cours du procès pour les soumettre à un faisceau de perspectives hétérogènes. En retour, ces objets constituent un espace partagé pour favoriser l’apparition, dans les communautés concernées à divers titres, de gestes et de conversations alternatifs, susceptibles d’imprégner leurs pratiques quotidiennes et professionnelles. Les instruments de l’art et de la poésie ne sont pas convoqués ici en tant qu’outils matériels prétendument autonomes mais en termes d’objectifs : comment appréhender des masses de textes et d’images différemment en passant, par exemple, à un modèle connecté, grâce au système de tags de bogoro qui sera repris, nous le verrons, dans l’installation muzungu. Imaginer des dispositifs textuels ou visuels n’est évidemment pas réservé à l’art ou à la poésie, mais ces champs sont ouverts à des possibilités d’expérimentation et à des temporalités de travail que la CPI ne peut pas se permettre, en interne, de consacrer à une réflexion sur ses propres outils.

« L’art et la poésie sont justement ‘‘in the making’’, explique Leibovici. Leur activité consiste à fabriquer des appareillages et des équipements ultra-précis, mais pour des questions et des objets qui ne préexistent pas nécessairement… Une œuvre réussie répondra toujours de façon très pointue, mais on ne sait pas à l’avance à quoi. Tout le travail consistera à savoir à quelle question elle peut bien répondre. Une fois qu’on l’a trouvée, on est admiratif devant la qualité de la réponse. Que ce soit en sciences sociales ou en art, cette dimension contingente et fabriquée n’est pas un défaut, c’est une force. Avec une compréhension renouvelée de ce qu’est un « fait », on peut alors élargir la base sur laquelle la justice internationale cherche à construire son nouveau droit. »

Puisque la CPI fait souvent appel à des prestataires extérieurs pour concevoir ses logiciels pourquoi ne s’appuierait-elle pas sur des artistes et les autres professionnels impliqués dans le projet de Leibovici et Seroussi ? Dans leur postface à bogoro, ils décrivent ce qu’ils appellent une « pratique forensique d’écriture ». En extrayant ce qu’ils désignent comme « les moments adéquats » choisis avec soin parmi une énorme masse de documents, disponible mais impraticable, ils produisent des descriptions qui ne dépendent plus uniquement de catégories juridiques surplombantes. Ils incluent celles de tous les acteurs en présence, sans hiérarchie préétablie. Lorsqu’on feuillette ainsi le livre à la recherche du mot-clé « milice », notre appréhension du terme s’enrichit au fur et à mesure des différentes définitions données par les protagonistes, qui finissent par former, par agrégation et métamorphose, une description non pas consensuelle mais éclairée à partir des perspectives de l’ensemble des personnes concernées. La CPI a bien mesuré la valeur d’un tel dispositif, puisque l’idée de travailler avec des ONG à la création de podcasts autour d’une sélection de mots-clés fait aujourd’hui son chemin, afin de les diffuser dans les pays ou régions où des « situations » font l’objet d’enquêtes, de procès ou de réparations. Cela permettrait de constituer un vocabulaire partagé et un ensemble de références communes, dans le cadre de ses missions de réparation et de réconciliation.

Sous des apparences techniques, les œuvres ont une visée également politique. La réalisation d’une version en swahili de bogoro est donc une façon pour Leibovici et Seroussi de faire circuler le procès parmi les premières communautés concernées : les habitants de l’Ituri. La production d’une version audio vise également à pallier à l’inexistence des circuits de distribution de l’édition en RDC, et à permettre la circulation du livre parmi les populations les plus directement touchées par l’événement et le procès. Mais ce lourd travail n’aurait pu être réalisé sans un soutien logistique de la cour pour identifier et extraire des milliers d’heures de vidéo les passages correspondant à l’édition française dans la langue des témoins et des victimes. De la mise en circulation ponctuelle pour un livre de poésie des enregistrements en swahili à la standardisation d’une telle procédure, voilà aussi ce que vise le projet : implémenter, standardiser et routiniser de nouvelles manières de faire.

 

Couverture : franck leibovici, julien seroussi, muzungu, 2016. photo de l’institut de bogoro, présentée par le témoin p-258

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