Les murs d'Ouzaï
société

Culture pop, In situ, Philanthrope, 06 décembre 2018

Les murs d'Ouzaï

Les murs controversés d’Ouzaï

Chronique par Isabelle Rodriguez

Sommaire

En arrivant à Beyrouth, tout voyageur qui sort de l’aéroport aperçoit face à lui le quartier d’Ouzaï. C’est ici, au milieu de ces 4 km2 de constructions vétustes amoncelées les unes sur les autres, et pour la plupart construites sans autorisations par des populations déplacées, qu’a grandi Ayad Nasser, avant de faire fortune dans l’immobilier depuis la France. Ouzaï est un quartier délaissé qui souffre de sa mauvaise réputation — violence, pauvreté, surpopulation — mais que le jeune entrepreneur n’a jamais oublié.

En 2015, alors que cette triste banlieue de Beyrouth se noie sous les déchets lors de la crise des ordures, Ayad lance avec ses propres fonds le projet Ouzville, destiné à embellir le quotidien des habitants et à recréer du lien social, dans ce « pays délaissé par la classe politique et ses habitants ». Avec ce projet, Ayad Nasser souhaite changer complètement l’aspect d’Ouzaï, en invitant des artistes du monde entier à investir les murs des maisons du quartier. Plus de 30 street artists ont déjà participé — parmi lesquels Retna, Ethos, ou encore Demsky — en intervenant sur quelque 140 façades d’immeubles.

Si la transformation de cette zone urbaine pauvre en musée chamarré à ciel ouvert attire les touristes — qui évitaient jusqu’alors le secteur – tout en relançant un peu d’activité économique, et si les habitants qui sont très nombreux à participer bénévolement se montrent ravis de la vie qui renaît ici, le projet fait tout de même débat.

Du côté des artistes d’abord, car aucun message politique ou religieux n’est toléré sur les murs : « C’est de la censure », clame l’artiste libanais Marwan Rechmanoui, qui déplore le côté mis en scène de cette transformation urbaine et l’esprit qu’il considère perdu du street art dans ces conditions-là. Par ailleurs, certains riverains ne comprennent pas que de l’argent soit utilisé par les autorités publiques pour de l’art alors que d’autres problèmes plus importants ne sont pas réglés, comme par exemple le traitement des eaux usées. D’autres estiment enfin qu’on embellit des maisons construites de façon illégale, sans compter que derrière leurs couleurs vives, les murs continuent à pourrir et à s’effriter…

Mais Ayat Nasser balaie les critiques d’un revers de la main : il s’agissait avant tout de lancer un projet qui permette de renouer le dialogue, un premier pas vers un renouveau urbain et social, qui correspond à une véritable attente populaire. Quelques mois après Ouzville, un projet similaire a même vu le jour à Tripoli, toujours sous sa férule, tandis que de nombreuses initiatives locales ou nationales avaient déjà commencé à transformer l’aspect des quartiers les plus marqués : le street artist Mohammed Al Abrash a repeint les murs des établissements scolaires tandis que le duo Ashekman a dévoilé un gigantesque « salam » (Paix) peint sur les toits avec l’aide des habitants, un graffiti géant à voir du ciel qui s’étend sur 80 immeubles et plusieurs quartiers, pour offrir au monde une image pacifiée du Liban.

Couverture : Ouzaï, Liban. ©DR

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