Art spolié
Art spolié

L’Art spolié

Chronique par Zoé Cosson

Sommaire

Le Suicidé de Manet, Tournesols de Gauguin, Le Garçon au gilet rouge de Cézanne, Le Déjeuner de Bonnard, en tout cinquante-sept chef-d’œuvres de la collection Bührle ont été exposés par Le musée Maillol à Paris du 20 mars au 21 juillet 2019, passant largement sous silence l’histoire de leur propriétaire, fournisseur d’armes du IIIe Reich pendant la seconde guerre mondiale.

Présentant Emil Bührle comme un simple « industriel suisse », le musée ne s’est pas étendu sur une biographie qui ne ferait pas bonne publicité. L’histoire honteuse de cet amateur d’art est à peine mentionnée dans le catalogue et dans une petite salle de l’exposition, de façon équivoque. En réalité, Emil Bührle (1890-1956) est Allemand. Il ne s’installe en Suisse qu’à partir de 1924, où il administre une usine au nord de Zurich qu’il spécialise progressivement dans l’armement. En achetant le brevet d’un canon à tir rapide de 20 mn, il devient rapidement le premier fournisseur de l’Allemagne, participant au réarmement, pourtant interdit par le Congrès de Versailles. Les affaires étant juteuses, il approvisionnera aussi bien les armées britanniques et françaises que l’Allemagne qui deviendra son unique client à partir de 1940.

Par prudence, il prend la nationalité Suisse en 1937, jouissant de ce fait de la sainte « neutralité » helvétique, propice à son commerce en ces temps sombres. Un article du quotidien français Le Monde indique que « sa fortune passe entre 1940 et 1944 de 140 000 à 127 millions de francs suisses ». La fin de la guerre ne signera que provisoirement l’arrêt de ses usines, puisqu’il reprendra ses ventes en 1947 pour l’armée américaine.

Si la manière dont ces œuvres ont été achetées, avec l’argent de la vente d’armes, constitue déjà un point noir, l’acquisition de certains tableaux relève tout bonnement de l’infamie.

Il profite du ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), une unité chargée de rapatrier pour le compte des Nazis des objets pillés pendant la guerre, notamment juifs. Il se procure ainsi le Van Gogh de Myriam de Rothschild et le Degas d’Alphonse Kann parmi une quinzaine de toiles d’origine incertaine. Un procès en 1948 l’obligera à restituer treize tableaux, sur lesquels il en rachètera neuf.

En 2015, la polémique avait été relancée par l’ouvrage Le livre noir Bührle écrit sous la direction de Thomas Buomberger (historien et journaliste) et Guido Magnaguagno (historien de l’art). Sous-titré De l’art volé pour le Kunsthaus ?, il détaillait dix-neuf cas de tableaux d’origine douteuse et pointait l’attention nécessaire qu’il convenait d’accorder lorsqu’une institution soutenue par des fonds publics, comme le Kunsthaus de Zürich, s’apprête à accueillir des œuvres dont l’origine n’est pas déterminée.

La catégorie d’art spolié n’est toujours pas encore reconnue par la communauté internationale. Par son histoire spécifique liée à la spoliation des biens de familles juives et leur placement systématique dans des institutions publiques, l’Allemagne est le seul pays à avoir inscrit cette notion dans un cadre juridique, expliquait Benno Widmer, chef du Bureau de l’art spolié de l’OFC (Office fédéral de la culture).

Si le débat sur l’art spolié ressurgit, comme à la documenta 14 de Cassel où des artistes s’emparèrent du sujet des pillages coloniaux et nazis, on regrette la lenteur voire l’inaction de certaines institutions muséales, qui eux accusent le manque de moyens dédiés aux travaux de recherches sur l’origine des œuvres.

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